Le Conseil constitutionnel a rendu, le 17 juin 2020, une décision relative à la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Cette décision traite du report du second tour des élections municipales et de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution. Le 15 mars 2020, le premier tour du scrutin s’est déroulé dans un contexte de crise sanitaire sans précédent sur le territoire national. Le Gouvernement a ensuite suspendu le processus électoral pour protéger la population, empêchant la tenue du second tour initialement prévu le 22 mars. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État le 25 mai 2020, le juge constitutionnel a examiné la validité de cette interruption.
Les requérants soutenaient que le législateur ne pouvait pas interrompre un processus électoral en cours sans annuler l’intégralité des résultats du premier tour. Selon eux, le délai de trois mois entre les deux tours portait une atteinte manifeste aux principes de sincérité du scrutin et d’égalité. Ils critiquaient également les dates d’entrée en fonction différentes pour les conseillers municipaux selon qu’ils furent élus au premier ou au second tour. La question posée au juge consistait à savoir si le maintien de la validité du premier tour, malgré un report lointain, respectait les exigences constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées conformes, estimant que le report était justifié par un motif impérieux d’intérêt général lié à la santé.
I. La validation d’un report électoral justifié par des circonstances sanitaires exceptionnelles
A. La reconnaissance d’un motif impérieux d’intérêt général
Le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur dispose de la compétence pour fixer les règles concernant le régime électoral des différentes assemblées locales. Toutefois, cette compétence doit s’exercer dans le respect du droit de suffrage qui impose aux électeurs d’être appelés aux urnes selon une périodicité raisonnable. En l’espèce, le juge relève que le législateur « a entendu éviter que la tenue du deuxième tour de scrutin ne contribue à la propagation de l’épidémie ». Cette finalité de protection de la santé publique constitue un motif impérieux d’intérêt général qui autorise une dérogation temporaire au déroulement normal des élections. La gravité de la situation sanitaire au printemps 2020 justifiait ainsi une mesure de suspension immédiate des opérations électorales entamées en mars.
Le juge valide le choix politique de reporter le scrutin plutôt que d’annuler purement et simplement les résultats du premier tour déjà organisés. Il considère que l’objectif de sauvegarde de la santé publique l’emporte sur l’exigence habituelle de continuité immédiate entre les deux tours de scrutin. Cette approche pragmatique permet de concilier la protection de la vie des citoyens avec le maintien minimal de la vie démocratique locale.
B. La préservation de l’expression du suffrage du premier tour
L’article 19 de la loi du 23 mars 2020 prévoit que l’élection régulière des conseillers municipaux élus dès le premier tour de scrutin reste acquise. Le Conseil constitutionnel souligne que cette disposition permet de préserver l’expression du suffrage lors du premier tour tout en suspendant la suite des opérations. Il affirme que « le législateur ne saurait autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu’à la condition qu’elle soit justifiée ». Le juge estime que l’annulation totale du scrutin aurait porté une atteinte disproportionnée à la volonté déjà exprimée par une partie importante du corps électoral. En maintenant les mandats acquis, la loi respecte le principe de souveraineté nationale sans méconnaître les exigences de l’article 3 de la Constitution.
Cette solution permet de stabiliser les conseils municipaux déjà complets tout en organisant la suite de la procédure pour les autres communes concernées. Le juge constitutionnel refuse de considérer le scrutin à deux tours comme un bloc indissociable dont la rupture entraînerait nécessairement la nullité. Le report n’altère pas la validité intrinsèque des votes exprimés le 15 mars 2020 car la sincérité globale du premier tour demeure intacte.
II. Le maintien des garanties constitutionnelles malgré la rupture de l’unité du scrutin
A. L’encadrement temporel et les mesures d’adaptation technique
Le Conseil constitutionnel observe que le législateur a limité le report du second tour au mois de juin 2020 au plus tard. Ce délai maximal était adapté à l’incertitude entourant l’évolution de l’épidémie tout en garantissant une reprise rapide de la vie électorale normale. Pour assurer la continuité des opérations, le pouvoir législatif a imposé l’utilisation des listes électorales établies pour le premier tour de scrutin. Cette mesure technique garantit l’unité du corps électoral malgré les mois séparant les deux phases de l’élection municipale sur le territoire. Le juge relève également la majoration des plafonds de dépenses électorales pour compenser les frais supplémentaires engendrés par la durée exceptionnelle de cette campagne.
Ces garanties permettent de maintenir l’égalité entre les candidats et d’éviter que le report ne favorise indûment certaines forces politiques ou certains candidats. Le Conseil constitutionnel juge ces modalités proportionnées aux circonstances exceptionnelles sans que le droit de suffrage ne soit vidé de sa substance fondamentale.
B. L’absence d’atteinte caractérisée à l’égalité et au droit au recours
Les requérants soutenaient que la différence de durée de mandat entre les élus du premier et du second tour violait le principe d’égalité. Le juge constitutionnel écarte ce grief en affirmant que cette différence de traitement repose sur une différence de situation objective au regard de l’élection. Il précise que cette distinction est la conséquence directe de la volonté du législateur d’assurer la continuité des fonctions municipales durant la crise. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel rappelle que les dispositions contestées « n’ont aucune incidence sur les éventuelles contestations devant le juge de l’élection » des opérations. Le droit à un recours juridictionnel effectif est ainsi préservé pour l’ensemble des candidats et des électeurs souhaitant critiquer la régularité du vote.
Il appartiendra au juge administratif d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu altérer la sincérité du scrutin dans chaque cas d’espèce. En validant la loi, le Conseil constitutionnel ne ferme pas la porte à des annulations ponctuelles fondées sur des circonstances locales particulières. Il confirme simplement que le cadre législatif du report ne contient pas en lui-même de germe d’inconstitutionnalité manifeste ou de rupture d’égalité.