Conseil constitutionnel, Décision n° 2020-885 QPC du 26 février 2021

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 26 février 2021, une décision remarquée relative à l’accès au dispositif légal de la retraite progressive. Cette procédure émane d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 novembre 2020. Une salariée contestait les conditions d’octroi d’une fraction de sa pension de vieillesse parallèlement à la poursuite d’une activité réduite. Elle se heurtait à une interprétation jurisprudentielle stricte des articles L. 351-15 du code de la sécurité sociale et L. 3123-1 du code du travail. Ces textes réservent le bénéfice de la retraite progressive aux seuls salariés dont le temps de travail est décompté en heures. La requérante, soumise à une convention de forfait en jours sur l’année, dénonçait une rupture d’égalité contraire à la Déclaration de 1789. La question posée au juge constitutionnel concernait la validité de l’exclusion de ces travailleurs d’un mécanisme de cessation graduelle d’activité. Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions contestées contraires à la Constitution en raison d’une différence de traitement sans rapport avec l’objectif poursuivi. Il convient d’analyser l’existence de cette distinction juridique avant d’examiner les fondements et les effets de la censure prononcée.

I. L’identification d’une différence de traitement au regard de la retraite progressive

A. Une exclusion fondée sur la nature du décompte du temps de travail

Le dispositif de la retraite progressive permet aux travailleurs de percevoir une partie de leur pension tout en maintenant une activité professionnelle réduite. Les dispositions contestées limitent cet accès aux seuls salariés exerçant une activité à temps partiel dont la durée est quantifiée en heures. Cette définition légale exclut de fait les salariés ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sur l’année avec leur employeur. La jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirmait cette impossibilité pour les travailleurs en forfait jours depuis novembre 2016.

Le juge constitutionnel relève que cette interprétation constante crée une distinction claire entre deux catégories de salariés au sein du code de la sécurité sociale. La décision précise que « sont exclus du bénéfice de la retraite progressive les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention individuelle de forfait en jours ». Cette situation prive ainsi certains travailleurs d’un droit social ouvert aux autres sur le seul fondement de la mesure de leur labeur. L’existence d’une différence de traitement entre les salariés à temps partiel et ceux en forfait réduit est donc formellement établie.

B. La reconnaissance d’une situation comparable quant à la réduction d’activité

Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe d’égalité n’interdit pas au législateur de régler de façon différente des situations juridiques distinctes. Il souligne que les salariés en forfait jours et ceux décomptés en heures se trouvent dans des situations différentes pour l’organisation de leur travail. Cette distinction technique ne suffit toutefois pas à justifier une éviction totale du dispositif dès lors que les situations deviennent comparables. L’élément de comparaison pertinent réside ici dans la réalité de la réduction de l’activité professionnelle par rapport à une durée maximale.

Le juge constitutionnel observe que les salariés en forfait jours réduit exercent, par rapport à la durée maximale légale, une activité effectivement minorée. Ces travailleurs se trouvent donc dans une posture similaire à celle des salariés à temps partiel au regard du besoin de transition. La décision affirme que ces salariés « exercent, par rapport à cette durée maximale, une activité réduite » justifiant une égalité d’accès aux droits sociaux. Cette assimilation des deux situations par le Conseil constitutionnel remet en cause le critère de distinction retenu par le législateur.

II. La sanction d’une rupture d’égalité sans rapport avec l’objet de la loi

A. L’inéquation manifeste entre le critère retenu et l’objectif social

Le principe d’égalité impose que toute différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Le Conseil constitutionnel identifie l’objectif du législateur comme la volonté de « permettre aux travailleurs exerçant une activité réduite de bénéficier d’une cessation graduelle d’activité ». Cet objectif social vise à faciliter la transition vers la retraite pour tous les assurés remplissant les conditions d’âge et de durée d’assurance. Le critère fondé sur le mode de décompte du temps de travail apparaît alors totalement étranger à cette finalité.

L’exclusion des salariés en forfait jours réduit ne s’explique par aucune nécessité liée à la nature de leur contrat ou à la solidarité nationale. Le juge constitutionnel conclut que cette différence de traitement est « sans rapport avec l’objet de la loi » instituant la retraite progressive. La décision censure par conséquent les mots litigieux de l’article L. 351-15 du code de la sécurité sociale pour méconnaissance du principe d’égalité. Cette solution protège les droits des travailleurs dont le temps de travail n’est pas strictement horaire mais demeure néanmoins partiel.

B. L’aménagement temporel des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité

La déclaration d’inconstitutionnalité entraîne normalement l’abrogation immédiate des dispositions contraires à la Constitution dès la publication de la décision au Journal officiel. Le Conseil constitutionnel dispose néanmoins du pouvoir de reporter les effets de sa décision pour éviter des conséquences manifestement excessives pour l’ordre juridique. Une abrogation immédiate supprimerait le fondement légal de la retraite progressive pour l’ensemble des bénéficiaires actuels, y compris les salariés à temps partiel. Une telle situation créerait un vide législatif préjudiciable aux assurés et perturberait gravement la gestion des caisses de retraite.

Le juge constitutionnel décide de reporter la date de l’abrogation au 1er janvier 2022 afin de laisser au législateur le temps nécessaire. Ce délai permet au Parlement d’adopter de nouvelles dispositions conformes à la Constitution pour inclure les salariés en forfait jours. La décision précise que « les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires ne peuvent être contestées ». Cette réserve préserve la sécurité juridique des situations passées tout en imposant une réforme rapide du cadre légal de la fin de carrière.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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