Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-896 QPC du 9 avril 2021

Le Conseil constitutionnel a rendu le 9 avril 2021 une décision relative à la conformité de l’article 433-5 du code pénal. La juridiction était saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 janvier 2021. Le litige opposait un requérant aux autorités de poursuite concernant des propos tenus à l’encontre d’un agent public. L’intéressé arguait d’une confusion entre les délits d’outrage et d’injure publique prévus par la loi sur la presse. Selon lui, cette identité de faits permettait aux parquets de choisir arbitrairement le régime de poursuite le plus sévère. Il invoquait ainsi la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale ainsi que du droit à un recours effectif. La question posée aux juges constitutionnels portait sur la possible identité des éléments constitutifs de ces deux infractions pénales. Les sages ont considéré que les dispositions contestées étaient conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution française. La décision repose sur une distinction jurisprudentielle établie entre l’adresse directe et la diffusion publique des propos incriminés. Cette étude portera d’abord sur la distinction matérielle entre les délits d’expression, avant d’analyser la conciliation entre l’ordre public et la liberté.

I. La distinction matérielle entre les délits d’expression

A. L’exigence d’une interpellation directe pour l’outrage

L’outrage se définit par des paroles ou gestes adressés à une personne investie d’une mission de service public. Le Conseil constitutionnel souligne que ce comportement doit être « directement adressé à la personne outragée » pour être valablement constitué. Cette caractéristique fondamentale distingue l’outrage de l’injure, laquelle ne requiert pas nécessairement une interpellation immédiate de la victime. La jurisprudence constante exige que l’auteur ait voulu que ses propos soient rapportés directement à l’agent concerné. Cette volonté de toucher personnellement le destinataire caractérise l’atteinte portée à la dignité de la fonction exercée. Le juge constitutionnel valide ainsi une interprétation restrictive de l’infraction afin de limiter les risques de chevauchement juridique. Les éléments matériels de l’outrage supposent donc une proximité ou une intention de communication directe avec l’autorité visée.

B. L’autonomie maintenue du régime de la presse

L’injure publique réprime toute expression outrageante qui ne renferme l’imputation d’aucun fait déterminé selon la loi de 1881. Contrairement à l’outrage, ce délit d’expression se manifeste par une publicité donnée aux termes de mépris ou aux invectives. Les sages précisent que l’outrage porte « une atteinte différente de celle résultant d’une injure » qui n’est pas directement adressée. Cette différence de nature justifie l’application de régimes procéduraux distincts pour ces deux types de manquements aux lois. Le requérant craignait que l’administration puisse contourner les garanties spécifiques du droit de la presse par la qualification d’outrage. Le Conseil constitutionnel estime cependant que les agissements punis restent de nature différente selon les circonstances de leur commission. L’autonomie de la loi sur la liberté de la presse demeure ainsi préservée pour les propos diffusés sans interpellation. La définition stricte de l’outrage permet alors de justifier l’équilibre entre la répression pénale et la sauvegarde des droits fondamentaux.

II. La conciliation entre ordre public et liberté d’expression

A. La validation de la différence de traitement pénal

Le principe d’égalité devant la loi pénale n’interdit pas de différencier des situations fondées sur des agissements distincts. Les juges affirment que l’outrage et l’injure publique « punissent des agissements de nature différente » malgré leur apparente similitude sémantique. Cette distinction permet au législateur de prévoir des peines et des procédures qui ne sont pas strictement identiques. L’outrage est passible d’emprisonnement lorsqu’il vise un dépositaire de l’autorité publique, contrairement à l’injure publique punie d’une amende. Le Conseil constitutionnel rejette le grief de discrimination en s’appuyant sur la gravité spécifique de l’interpellation directe de l’agent. Le choix des poursuites n’est pas discrétionnaire puisqu’il dépend de la matérialité des faits constatés lors de l’infraction. La protection de l’autorité publique justifie cette graduation de la réponse pénale en fonction du mode de communication choisi.

B. La proportionnalité des sanctions face aux abus de langage

La liberté d’expression constitue une garantie fondamentale de la démocratie mais autorise la répression des abus portant atteinte à l’ordre. Le Conseil énonce que l’outrage porte atteinte à la « dignité des fonctions ainsi exercées et au respect qui leur est dû ». Les peines prévues par le code pénal ne paraissent pas excessives au regard de l’objectif de protection des institutions. La juridiction considère que le législateur a instauré des limites nécessaires et adaptées à l’exercice du droit de libre communication. Les sanctions maximales, allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement, sont jugées proportionnées à la gravité de l’abus constaté. Cette décision confirme que la protection des agents publics prime sur une liberté d’expression absolue en cas d’attaque personnelle. Les dispositions contestées sont déclarées conformes car elles ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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