Le Conseil constitutionnel a rendu, le 6 mai 2021, une décision d’importance majeure concernant le respect du droit à un recours juridictionnel effectif. Cette question prioritaire de constitutionnalité porte sur les modalités de transfèrement des condamnés au sein de l’espace judiciaire de l’Union européenne. Les dispositions législatives permettaient au ministère public de décider seul de l’exécution d’une peine française à l’étranger sans prévoir de contestation possible. Une association a soutenu que ce mécanisme portait une atteinte disproportionnée aux droits constitutionnels et à la vie familiale des personnes détenues. Le Conseil d’État a transmis cette requête au juge constitutionnel afin qu’il examine la conformité des articles du code de procédure pénale. Les requérants contestaient l’absence de voie de droit contre les décisions d’engagement, de refus ou de retrait des demandes de transfèrement international. Le juge devait déterminer si le silence du législateur constituait une méconnaissance des exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Il a déclaré les dispositions litigieuses contraires à la Constitution en raison de l’absence manifeste de garantie pour les droits des personnes intéressées. L’examen de cette décision commande d’analyser d’abord l’affirmation du droit au recours face aux prérogatives du ministère public puis la portée protectrice de cette censure.
I. L’affirmation du droit au recours face aux prérogatives du ministère public
A. Un pouvoir décisionnel unilatéral dépourvu de contrôle
Les dispositions contestées confèrent au représentant du ministère public une compétence exclusive pour initier la procédure de reconnaissance mutuelle des condamnations pénales définitives. Ce magistrat peut transmettre une demande d’exécution d’une peine à un autre État membre lorsqu’il estime que cette mesure facilitera la réinsertion sociale. Le législateur avait ainsi instauré un mécanisme de coopération simplifié reposant sur la confiance mutuelle entre les autorités judiciaires de l’espace européen de justice. Le Conseil constitutionnel souligne que « le représentant du ministère public peut saisir d’office un État de l’Union européenne d’une demande » sans le consentement du condamné. Cette prérogative s’exerce lorsque l’intéressé est ressortissant de l’État d’exécution ou s’il y réside habituellement de manière stable et régulière. Or, le droit positif ne prévoyait aucune modalité permettant à la personne concernée de discuter le bien-fondé de cette décision devant un juge indépendant. L’absence de recours empêchait ainsi tout contrôle sur les conditions de réinsertion sociale invoquées par le parquet pour justifier le transfert de la personne. La décision du magistrat échappait totalement à l’examen d’une juridiction du siège, créant un déséquilibre flagrant entre l’autorité publique et les droits individuels.
B. La reconnaissance d’une atteinte substantielle aux garanties constitutionnelles
Le juge constitutionnel fonde sa censure sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen protégeant le droit au recours effectif. Il estime que les décisions prises par le parquet entraînent des conséquences lourdes sur les modalités concrètes d’exécution de la peine privative de liberté. Le transfert vers un autre pays modifie radicalement le régime des libérations conditionnelles ainsi que les possibilités de maintien des liens familiaux et sociaux. La juridiction précise qu’il « ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction ». Elle rejette l’argument selon lequel l’existence d’un recours dans l’État étranger pourrait pallier l’absence de protection juridictionnelle sur le sol français. La solution constitutionnelle impose ainsi la création d’un contrôle judiciaire direct sur les actes de procédure émanant des autorités nationales compétentes en matière pénale. Cette exigence de protection s’applique uniformément aux décisions d’engagement de la mesure, aux refus de demande ou encore au retrait d’un certificat déjà transmis. La carence du législateur est donc sanctionnée pour n’avoir pas entouré ces décisions de garanties suffisantes permettant de préserver les libertés fondamentales garanties.
II. Une portée protectrice tempérée par la gestion des effets de la censure
A. L’extension de la garantie du recours effectif aux mesures d’exécution
Cette décision renforce la protection des justiciables durant la phase d’exécution des peines, domaine où le pouvoir discrétionnaire de l’administration est souvent important. Le Conseil constitutionnel réaffirme que le caractère administratif ou technique d’une mesure n’autorise pas à évincer le contrôle du juge dès qu’un droit est affecté. Il juge que « l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de cette décision méconnaît les exigences découlant de l’article 16 ». Cette position oblige le législateur à insérer des garanties procédurales nouvelles dans le code de procédure pénale pour sécuriser les transferts internationaux. La solution garantit que la personne condamnée puisse faire valoir ses arguments concernant sa situation familiale ou ses projets de réinsertion devant une instance juridictionnelle. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement global de juridictionnalisation de l’exécution des peines afin de limiter l’arbitraire potentiel des autorités de poursuite. Le juge ne se contente plus de vérifier la légalité formelle de l’acte mais exige qu’un débat contradictoire soit possible devant un tribunal. La portée de l’arrêt dépasse le cadre strict du transfèrement pour irriguer l’ensemble des procédures de coopération judiciaire impliquant des mesures de contrainte.
B. L’aménagement temporel nécessaire de l’abrogation des dispositions censurées
Malgré le constat d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel décide de reporter les effets de l’abrogation afin de préserver la continuité de la coopération pénale internationale. Une annulation immédiate des articles litigieux aurait bloqué toutes les procédures de transfèrement en cours et créé un vide juridique préjudiciable à l’ordre public. Le juge constitutionnel dispose du pouvoir de « fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets » pour éviter des conséquences excessives. Il fixe donc l’échéance au 31 décembre 2021, laissant ainsi au Parlement le temps nécessaire pour adopter une loi conforme aux principes énoncés. Cette technique de modulation permet d’assurer une transition sécurisée entre l’ancien système discrétionnaire et le futur cadre législatif protecteur des droits de la défense. Les mesures prises avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité, garantissant ainsi la stabilité des situations juridiques passées. Ce report illustre la volonté du juge de concilier la protection des libertés individuelles avec les nécessités opérationnelles de l’administration de la justice. La décision impose toutefois une action législative rapide pour instaurer les recours désormais indispensables à la validité constitutionnelle du mécanisme de reconnaissance mutuelle.