Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021, s’est prononcé sur la constitutionnalité des sanctions fiscales pour défaut de délivrance d’une facture. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État le 24 février 2021, le juge constitutionnel a examiné l’article 1737 du code général des impôts. La société requérante a subi une amende proportionnelle au montant de transactions n’ayant pas fait l’objet d’une délivrance régulière de factures dans ses écritures comptables habituelles. Elle contestait la constitutionnalité de cette pénalité au regard du principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par la Déclaration des droits de l’homme. La question juridique posée résidait dans la conformité d’une amende au taux fixe et non plafonné avec l’exigence de proportionnalité des sanctions punitives en droit fiscal. Le Conseil constitutionnel déclare la disposition contraire à la Constitution car elle peut entraîner une sanction manifestement disproportionnée par rapport à la gravité du manquement constaté. L’examen de la décision s’articule autour de l’exigence de proportionnalité des sanctions (I) et de la censure d’un mécanisme punitif jugé trop rigide par le juge (II).
I. La réaffirmation de l’exigence de proportionnalité en matière de sanctions fiscales
Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord l’étendue de son contrôle sur les sanctions administratives avant de valider l’objectif législatif poursuivi par la mesure de répression fiscale contestée.
A. L’application du principe de proportionnalité aux punitions administratives
Le juge constitutionnel fonde son raisonnement juridique sur l’article 8 de la Déclaration de 1789 fixant les conditions de nécessité et de légalité des peines en France. Ces principes constitutionnels s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais également à « toute sanction ayant le caractère d’une punition » de nature administrative. Le Conseil s’assure ainsi de « l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » par le redevable, malgré le large pouvoir d’appréciation du législateur national. Cette jurisprudence constante permet d’étendre la protection du justiciable aux amendes fiscales qui visent à réprimer des manquements administratifs graves par des sanctions pécuniaires très importantes.
B. La légitimité constitutionnelle de la lutte contre la fraude fiscale
En sanctionnant les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle au contrôle des comptabilités par l’administration fiscale compétente. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de « lutte contre la fraude fiscale » afin de garantir le recouvrement effectif des prélèvements obligatoires dus par l’entreprise. Le Conseil reconnaît que la répression de ces manquements aux règles de l’établissement des factures est nécessaire pour préserver les intérêts financiers légitimes de l’État français. La reconnaissance de cette exigence de proportionnalité conduit logiquement le juge à censurer le caractère rigide et excessif de l’amende fiscale soumise à son contrôle constitutionnel.
II. La censure d’un mécanisme de sanction fiscale rigide et excessif
Malgré la légitimité de l’objectif de lutte contre la fraude, le Conseil constitutionnel sanctionne la rigidité du calcul de l’amende et organise l’abrogation de la disposition.
A. La disproportion manifeste d’une amende fixe et non plafonnée
Le grief principal de la société requérante portait sur l’absence de modulation de l’amende dont le taux s’élève obligatoirement à 50 % du montant de la transaction commerciale. Le législateur a prévu l’application d’un taux fixe qui reste dû même si le fournisseur prouve ultérieurement la comptabilisation régulière de l’opération après une mise en demeure. Le Conseil relève que les dispositions contestées « peuvent donner lieu à une sanction manifestement disproportionnée au regard de la gravité du manquement constaté » par les services fiscaux. L’absence de plafond et l’impossibilité pour le juge d’adapter le montant de la peine en fonction des circonstances de l’espèce caractérisent une méconnaissance grave du principe de proportionnalité.
B. L’aménagement temporel des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité
Selon l’article 62 de la Constitution, le juge constitutionnel détermine souverainement les conditions et les limites dans lesquelles les effets de sa déclaration d’inconstitutionnalité peuvent être appliqués. L’abrogation immédiate de l’article litigieux entraînerait des « conséquences manifestement excessives » pour le système fiscal en privant subitement l’administration de tout moyen légal de sanctionner ces manquements administratifs. Le juge décide de reporter la date de l’abrogation au 31 décembre 2021 afin de permettre au législateur d’adopter de nouvelles dispositions conformes aux exigences de proportionnalité. Les mesures prises avant cette échéance temporelle ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité, garantissant ainsi la stabilité des procédures de redressement déjà engagées.