Le Conseil constitutionnel a rendu, le 11 juin 2021, la décision n° 2021-917 QPC relative au droit au respect de la vie privée des agents publics. Les dispositions contestées permettaient aux services administratifs d’obtenir des renseignements médicaux indispensables pour l’examen des droits au congé pour invalidité temporaire imputable au service. Une organisation syndicale a soutenu que ce dispositif méconnaissait le secret médical ainsi que la protection des données à caractère personnel garantie par la Constitution. Le Conseil d’État a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité par une décision du 6 avril 2021 en raison du caractère sérieux du grief invoqué. La question posée consiste à déterminer si l’accès administratif aux données de santé sans consentement préalable constitue une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel déclare le paragraphe VIII de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 contraire à la Constitution. Cette décision repose sur l’absence de garanties suffisantes entourant la procédure de communication de ces informations sensibles entre les tiers et l’administration.
**I. L’identification d’une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée**
Le Conseil constitutionnel rappelle que « la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée ».
**A. La légitimité de l’objectif de bon usage des deniers publics**
Les juges constitutionnels admettent d’abord que le législateur poursuit un objectif de valeur constitutionnelle en vérifiant la régularité des congés pour invalidité. Le contrôle de l’imputabilité au service des accidents ou maladies permet effectivement de garantir le « bon usage des deniers publics » au sens de la jurisprudence. Cette finalité justifie que l’administration dispose de moyens adéquats pour s’assurer que l’agent public remplit strictement les conditions légales fixées par son statut. La recherche d’une gestion rigoureuse des fonds publics autorise ainsi une certaine ingérence dans la sphère personnelle des agents sollicitant des prestations spécifiques.
**B. La vulnérabilité des données médicales face à la levée du secret**
Toutefois, la décision souligne que les renseignements transmis sont des données de nature médicale protégées par une vigilance particulière en raison de leur sensibilité. Les dispositions permettaient d’obtenir ces informations « sans recueillir préalablement le consentement des agents intéressés et sans que le secret médical puisse leur être opposé ». La possibilité de contourner systématiquement la confidentialité médicale sans l’accord exprès de la personne concernée fragilise directement l’exercice effectif du droit à la vie privée. Cette levée absolue du secret professionnel constitue une mesure particulièrement intrusive qui nécessite un encadrement législatif extrêmement précis pour demeurer constitutionnelle.
**II. La sanction d’un encadrement législatif défaillant des données de santé**
La censure prononcée par les juges s’explique principalement par le manque de précision du texte concernant les agents habilités à manipuler ces informations confidentielles.
**A. L’imprécision du cadre organique de la communication administrative**
Le droit de communication pouvait être exercé par des services administratifs dont les agents ne sont soumis à aucune habilitation spécifique ou contrôle particulier. Le Conseil relève que ces renseignements sont « susceptibles d’être communiqués à un très grand nombre d’agents » selon l’organisation interne de chaque autorité administrative. L’absence de limitation stricte des destinataires et l’étendue indéterminée des organismes tiers pouvant être sollicités caractérisent un dispositif législatif manifestement insuffisant et dangereux. Le législateur a ainsi négligé de définir les garanties indispensables pour limiter la diffusion de données hautement personnelles au sein des services de l’État.
**B. La portée protectrice de l’abrogation immédiate des dispositions**
Constatant une atteinte manifestement excessive aux libertés, le Conseil constitutionnel refuse de reporter les effets de sa décision et prononce une abrogation immédiate. Cette déclaration d’inconstitutionnalité est « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date » afin de garantir sans délai la protection des agents. La décision consacre ainsi une exigence de garanties procédurales strictes lorsque le législateur souhaite déroger au principe fondamental du secret médical dans la fonction publique. Ce précédent renforce significativement la protection constitutionnelle des données de santé face aux prérogatives croissantes de l’administration dans la gestion des ressources humaines.