Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés des articles L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route. Ces dispositions permettent à l’autorité administrative d’interdire temporairement aux exploitants de services électroniques d’aide à la navigation de rediffuser certains messages émis par leurs utilisateurs. Cette mesure vise à empêcher les conducteurs de se soustraire à des contrôles routiers spécifiques tels que les dépistages d’alcoolémie ou les recherches judiciaires de criminels.
La société requérante a soulevé cette question devant la juridiction administrative suprême qui l’a transmise aux sages par une décision du 16 septembre 2021. Elle soutenait notamment que ce dispositif portait une atteinte excessive à la liberté d’expression et de communication garantie par la Déclaration de 1789. La requérante dénonçait également une rupture d’égalité entre les exploitants ainsi qu’une méconnaissance de la liberté d’entreprendre. La question posée au juge constitutionnel consistait à déterminer si le législateur avait opéré une conciliation équilibrée entre l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et l’exercice des libertés fondamentales.
Le Conseil constitutionnel décide que le législateur peut restreindre la communication de ces informations pour garantir l’efficacité des investigations policières et la recherche des auteurs d’infractions. Toutefois, il censure la limitation géographique d’une exception de sécurité qui ne s’appliquait qu’au réseau routier national au détriment du réseau secondaire. Cette déclaration d’inconstitutionnalité partielle repose sur l’absence de proportionnalité d’une interdiction globale couvrant des informations de sécurité routière essentielles sur les routes départementales ou communales.
I. La conciliation nécessaire entre l’ordre public et la liberté d’expression
A. La finalité légitime de protection de la sécurité publique
Le Conseil constitutionnel rappelle d’emblée que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Ce droit fondamental implique aujourd’hui la liberté d’accéder aux services de communication en ligne et de s’y exprimer librement pour participer à la vie démocratique. Le législateur peut néanmoins édicter des règles pour concilier cette liberté avec « l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions ».
Les dispositions contestées poursuivent précisément cet objectif en évitant que des individus recherchés ne contournent les dispositifs de contrôle mis en place par les forces de l’ordre. L’interdiction de rediffusion concerne des opérations graves telles que les contrôles d’identité, les recherches de criminels ou les dépistages d’usage de stupéfiants. Cette restriction est jugée légitime car elle tend à assurer l’effectivité des missions de police judiciaire et administrative sur l’ensemble des voies ouvertes à la circulation.
B. Un encadrement matériel et temporel des mesures d’interdiction
Pour respecter les exigences constitutionnelles, les atteintes à la liberté de communication doivent demeurer strictement nécessaires, adaptées et proportionnées au but que l’autorité publique poursuit. Le juge souligne que l’interdiction prévue par l’article L. 130-11 du code de la route est circonscrite à des services spécifiquement dédiés à l’aide à la conduite. Elle ne peut être prononcée que lors de contrôles impliquant l’interception des véhicules et pour des motifs limitativement énumérés excluant explicitement les contrôles de vitesse.
La loi fixe par ailleurs des limites temporelles et géographiques précises en fonction de la nature de l’opération et du lieu où le contrôle est effectué. La durée ne peut excéder deux heures pour les contrôles d’alcoolémie et douze heures pour les recherches liées à des crimes ou des délits graves. Le périmètre est également restreint à un rayon de deux kilomètres en agglomération et dix kilomètres hors agglomération autour du point de surveillance.
II. La sanction d’une atteinte disproportionnée à la liberté de communication
A. L’excès du périmètre de l’interdiction sur le réseau routier secondaire
Le Conseil constitutionnel relève une faille majeure dans le dispositif législatif concernant le traitement différencié des informations relatives à la sécurité routière selon la nature des voies. Sur le réseau routier national, l’interdiction ne peut porter sur des événements critiques comme la chaussée glissante, les accidents ou les conditions météo exceptionnelles. En revanche, hors de ce réseau national, l’interdiction « vise, sans exception, toute information habituellement rediffusée aux utilisateurs par l’exploitant du service ».
Cette absence d’exception sur le réseau secondaire signifie que l’administration pourrait occulter des alertes vitales pour la sécurité des usagers sans aucun rapport avec les contrôles. Le juge considère que l’interdiction est ainsi « susceptible de s’appliquer à de nombreuses informations qui sont sans rapport avec la localisation des contrôles de police ». Dès lors, l’atteinte portée à la liberté d’expression ne présente pas un caractère proportionné au but recherché sur ces portions de routes.
B. Les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité partielle
Le Conseil déclare contraires à la Constitution les mots limitant l’exception de sécurité au seul réseau routier national défini par le code de la voirie routière. Cette censure supprime une distinction injustifiée qui privait les utilisateurs circulant sur les routes locales de renseignements essentiels pour leur propre protection physique. Par cette décision, le juge garantit que les informations minimales universelles sur la circulation resteront accessibles aux conducteurs quel que soit le type de réseau emprunté.
Le reste de l’article L. 130-11 et les sanctions pénales prévues à l’article L. 130-12 sont déclarés conformes aux autres principes constitutionnels invoqués par la requérante. Le principe d’égalité est respecté puisque les exploitants de services de géolocalisation se trouvent dans une situation différente des autres fournisseurs de services en ligne. La déclaration d’inconstitutionnalité prend effet immédiatement à la date de publication de la décision sans qu’aucun motif ne justifie un report de ses effets.