Le Conseil constitutionnel a rendu le 3 décembre 2021 une décision importante relative à l’accès des autorités aux données de connexion durant l’enquête préliminaire. Les dispositions contestées autorisent le procureur de la République à requérir des informations issues de systèmes informatiques auprès d’organismes publics ou privés.
Dans le cadre d’une procédure pénale, un requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité visant les articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale. La Cour de cassation a transmis cette question le 21 septembre 2021, s’interrogeant sur la conformité de ces textes au droit au respect de la vie privée.
Le requérant soutient que la possibilité pour le ministère public d’autoriser ces réquisitions sans contrôle préalable d’une juridiction indépendante méconnaît les garanties constitutionnelles fondamentales. Le Conseil constitutionnel doit déterminer si l’accès aux données de connexion peut être autorisé par le procureur sans méconnaître l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Les sages déclarent les dispositions contraires à la Constitution en raison du caractère attentatoire des données traitées et de l’absence de garanties suffisantes pour assurer une conciliation équilibrée. La protection constitutionnelle de la vie privée face aux nécessités de l’enquête impose d’analyser d’abord la nature des données avant d’étudier l’insuffisance du contrôle.
**I. La consécration de la nature intrusive des données de connexion**
*A. Une identification précise de la sphère intime*
Le Conseil constitutionnel souligne que les données de connexion comportent des informations relatives à l’identification, à la localisation et aux contacts téléphoniques ou numériques des personnes. Ces éléments techniques permettent de retracer avec précision les activités quotidiennes d’un individu ainsi que ses interactions sociales au sein de l’espace numérique moderne.
Le juge constitutionnel relève que ces informations portent sur les services de communication au public en ligne consultés par les utilisateurs de réseaux électroniques. Cette précision terminologique englobe une réalité vaste touchant directement à l’exercice des libertés de pensée et de communication garanties par les textes fondamentaux de la République.
*B. La reconnaissance d’une atteinte caractérisée à la vie privée*
Les magistrats estiment que ces données fournissent des informations « nombreuses et précises, particulièrement attentatoires » à la vie privée des intéressés et de certains tiers. Cette qualification juridique justifie une protection renforcée car le traitement de ces informations permet de dresser un profil complet de l’existence d’un simple citoyen.
La décision précise que la diversité des traitements informatiques possibles sur ces métadonnées augmente significativement la gravité de l’ingérence dans la vie personnelle. La sensibilité de ces éléments impose dès lors au législateur d’entourer leur collecte de précautions juridiques supérieures à celles requises pour de simples documents administratifs.
**II. La sanction d’un cadre procédural insuffisamment protecteur**
*A. La défaillance du contrôle exercé par le procureur de la République*
Le législateur a confié l’autorisation des réquisitions au procureur de la République, magistrat chargé de diriger les enquêtes et de soutenir l’accusation publique. Cette absence de contrôle par une juridiction indépendante ne permet pas de garantir l’impartialité nécessaire à la sauvegarde des libertés individuelles face aux pouvoirs d’investigation.
Le Conseil constitutionnel rappelle que le ministère public doit certes contrôler la légalité des moyens mis en œuvre, mais cette mission interne s’avère ici insuffisante. La nature du procureur de la République fait obstacle à ce qu’il soit considéré comme une autorité de contrôle neutre au sens des exigences de protection de l’intimité.
*B. L’exigence de garanties législatives proportionnées*
Le Conseil constate que les réquisitions peuvent concerner tout type d’infraction sans être justifiées par l’urgence ni limitées dans le temps par des critères stricts. L’absence de seuil de gravité concernant les crimes ou délits poursuivis rend le dispositif législatif manifestement disproportionné au regard de l’objectif de recherche des auteurs d’infractions.
L’abrogation des textes est reportée au 31 décembre 2022 afin de permettre au Parlement de définir un nouveau cadre respectueux des exigences constitutionnelles de proportionnalité. Cette décision oblige désormais le législateur à instaurer un contrôle juridictionnel préalable pour garantir l’équilibre entre la sécurité publique et le droit au secret de la correspondance.