Le Conseil constitutionnel a rendu, le 28 janvier 2022, une décision relative à la conformité des sanctions administratives prononcées par le régulateur des marchés financiers. Cette instance fut saisie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 novembre 2021, suite à une question prioritaire de constitutionnalité. Plusieurs sociétés contestaient la constitutionnalité de dispositions permettant de punir l’entrave aux enquêtes et aux contrôles financiers par une amende administrative importante. Les requérantes invoquaient notamment une méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines, de proportionnalité ainsi que de nécessité des peines. Elles dénonçaient le cumul possible entre cette répression administrative et les sanctions pénales prévues pour les mêmes faits d’obstacle aux missions de contrôle. La question posée au juge constitutionnel consistait à savoir si le cumul de ces deux procédures respectait les exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789. Le Conseil décide que la disposition permettant de poursuivre administrativement les refus opposés aux enquêteurs méconnaît le principe de nécessité des peines. Cette analyse s’articule autour de la validation des modalités de la sanction administrative avant d’en sanctionner le cumul avec la voie pénale.
I. Le rejet des griefs tenant à la légalité et à la proportionnalité de la sanction
A. La précision suffisante de l’élément matériel du manquement Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord que le principe de légalité impose au législateur de fixer les sanctions punitives en termes suffisamment clairs et précis. Les dispositions contestées visent le refus de donner accès à un document, de fournir une copie, de communiquer des informations ou de répondre à une convocation. Le juge estime que « le législateur a précisément défini les éléments constitutifs du manquement ainsi que les personnes auxquelles il peut être reproché ». La clarté de la norme permet ainsi aux justiciables de connaître précisément les comportements proscrits lors d’une phase d’enquête administrative. L’objectif de préservation de l’ordre public économique justifie cette rigueur textuelle afin d’assurer l’efficacité indispensable des investigations menées par l’autorité de régulation.
B. L’encadrement juridictionnel de la sévérité de la sanction pécuniaire La critique relative au montant de l’amende, pouvant atteindre cent millions d’euros, est écartée par le Conseil au regard des garanties de modulation. Cette sanction doit être proportionnée et « modulée, sous le contrôle du juge, en fonction notamment de la gravité du manquement » et de la situation financière. Le plafonnement élevé n’est pas jugé manifestement excessif puisqu’il remplit une fonction de prévention des manquements financiers par un effet suffisamment dissuasif. La présence d’un contrôle juridictionnel effectif sur le prononcé de la peine garantit que la punition ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire. Ces considérations sur la validité intrinsèque de la sanction permettent ensuite d’examiner la constitutionnalité de son articulation avec le droit pénal commun.
II. La consécration du principe de nécessité par l’interdiction du cumul répressif
A. L’identité constatée des faits et des intérêts sociaux protégés Le juge constitutionnel fonde sa décision sur le principe de nécessité des délits et des peines interdisant de sanctionner deux fois une même faute. Il observe que les refus opposés aux enquêteurs « tendent ainsi à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique » que ceux réprimés par le code pénal. L’infraction pénale d’obstacle à une mission de contrôle et le manquement administratif d’entrave protègent en effet les mêmes intérêts sociaux fondamentaux. Les deux régimes répressifs visent exclusivement à assurer l’efficacité des investigations conduites par le régulateur pour maintenir l’intégrité des marchés. Cette identité de but social rend le maintien simultané des deux voies de poursuite contraire aux exigences de protection des libertés individuelles.
B. L’inconstitutionnalité prononcée du cumul des poursuites administratives et pénales L’analyse compare enfin la nature des sanctions pour conclure que l’amende administrative et l’amende pénale ne présentent pas de différences de nature suffisantes. Le Conseil relève que ces deux répressions prévoient des amendes significatives qui « ne sont pas d’une nature différente » selon les critères constitutionnels classiques. En conséquence, la disposition administrative permettant de poursuivre ces refus méconnaît le principe de nécessité et doit être déclarée contraire à la Constitution. Cette déclaration d’inconstitutionnalité emporte l’abrogation de la norme contestée tout en précisant les conditions de son invocation dans les procédures encore en cours. Le droit positif se trouve ainsi clarifié par l’éviction d’un double péril répressif pour les administrés soumis aux contrôles du régulateur financier.