Le Conseil constitutionnel a rendu, le 11 mars 2022, une décision n° 2021-980 QPC relative à la conformité de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Cette disposition permet aux agents de l’administration fiscale de saisir des documents informatiques accessibles depuis les locaux visités lors d’une perquisition domiciliaire. Des requérants ont contesté cette faculté de saisie étendue aux données stockées à distance sur des serveurs distincts du lieu de la visite autorisée. La chambre commerciale de la Cour de cassation a transmis, par un arrêt du 15 décembre 2021, cette question prioritaire de constitutionnalité aux sages de la rue de Montpensier. Les auteurs du recours soutenaient que l’absence d’information des tiers dont les données sont saisies méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée. Ils invoquaient également une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif puisque ces tiers ne pourraient pas contester utilement les opérations de saisie informatique. Le problème de droit posé au juge constitutionnel consistait à savoir si l’extension des saisies aux données accessibles en ligne respectait l’équilibre entre lutte contre la fraude et libertés individuelles. Le Conseil constitutionnel a déclaré les mots « ou d’être accessibles ou disponibles » conformes à la Constitution sous réserve du contrôle permanent exercised par l’autorité judiciaire.
I. La validation d’une extension des prérogatives de saisie informatique
A. L’adaptation légale à la dématérialisation des données
Le législateur a entendu adapter les prérogatives de l’administration fiscale à l’informatisation des données des contribuables ainsi qu’à leur stockage à distance sur des serveurs. Cette évolution législative répond à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale en permettant la saisie de documents dématérialisés indispensables à la preuve. Les agents peuvent désormais saisir des pièces « quel qu’en soit le support », incluant les données « accessibles ou disponibles » depuis les locaux qui font l’objet d’une visite. Cette extension est justifiée par la nécessité de ne pas laisser échapper des éléments probants simplement en raison de leur délocalisation numérique ou de leur stockage virtuel. La décision souligne que ce droit de saisie est strictement limité aux documents se rapportant aux agissements de fraude fiscale suspectés par l’administration lors de sa requête initiale.
B. L’encadrement par le contrôle du juge des libertés et de la détention
La saisie informatique ne peut intervenir qu’à l’occasion d’une visite autorisée par le juge des libertés et de la détention qui vérifie concrètement le bien-fondé de la demande. Le magistrat doit motiver sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit laissant présumer l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. Les opérations s’effectuent sous l’autorité et le contrôle de ce juge qui peut décider à tout moment la suspension ou l’arrêt des visites entreprises par les agents. Cette garantie judiciaire assure que l’immixtion dans la sphère privée reste proportionnée aux nécessités de l’enquête fiscale et ne dégénère pas en une saisie générale et indifférenciée. Le respect de l’inviolabilité du domicile est ainsi préservé par l’intervention préalable d’un juge indépendant garantissant la protection des droits et libertés fondamentaux de chaque citoyen.
II. La conciliation des impératifs de lutte contre la fraude avec les droits fondamentaux
A. La préservation de la vie privée face aux saisies dématérialisées
Le Conseil constitutionnel estime que les dispositions contestées procèdent à une « conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée ». Si des documents n’appartenant pas aux personnes visées peuvent être saisis, c’est « à la condition qu’ils se rapportent » directement aux agissements frauduleux mentionnés dans l’ordonnance. La haute juridiction considère que l’accès à des serveurs distants ne constitue pas une violation disproportionnée dès lors que le périmètre de la recherche est juridiquement circonscrit. Le droit au respect de la vie privée, découlant de l’article 2 de la Déclaration de 1789, n’est pas absolu et peut subir des limitations nécessaires à l’intérêt général. La précision du cadre légal empêche les agents d’outrepasser leurs fonctions en accédant à des informations personnelles étrangères à l’enquête financière menée sous le contrôle judiciaire.
B. L’effectivité des recours ouverts aux tiers intéressés
L’article L. 16 B prévoit que l’ordonnance d’autorisation et le déroulement des opérations de saisie peuvent faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel. Le Conseil constitutionnel s’appuie sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation pour affirmer que ces recours sont ouverts à « toute personne ayant qualité et intérêt ». Cette ouverture procédurale permet aux tiers dont les données auraient été saisies par erreur ou sans lien avec la fraude de contester la régularité de l’opération technique. Le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789, est ainsi respecté sans qu’une information préalable systématique ne soit nécessaire. L’absence d’atteinte substantielle aux droits de la défense est confirmée par la possibilité pour les parties de former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’appel.