Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-1014 QPC du 14 octobre 2022

Le Conseil constitutionnel a rendu le 14 octobre 2022 une décision portant sur la conformité de l’article 223 sexies du code général des impôts. Cette disposition fiscale régit le précompte exigible lorsqu’une société redistribue des dividendes n’ayant pas supporté l’impôt sur les sociétés au taux normal.

Le litige trouve son origine dans la redistribution par une société mère de dividendes provenant de ses filiales situées en France ou à l’étranger. En application du régime des sociétés mères, ces revenus bénéficient d’une exonération d’impôt mais imposent en contrepartie le paiement d’un précompte lors de leur redistribution.

Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité le 25 juillet 2022, le juge examine une potentielle rupture d’égalité devant la loi. Les sociétés requérantes soutiennent que le maintien du précompte pour les filiales françaises et extracommunautaires méconnaît la Constitution depuis l’exonération des filiales européennes.

La question de droit soumise au Conseil constitutionnel porte sur la validité d’une différence de traitement fiscal fondée sur la localisation géographique des filiales. Il s’agit de déterminer si l’obligation d’acquitter le précompte peut subsister pour certaines redistributions sans porter atteinte au principe constitutionnel d’égalité.

Le Conseil constitutionnel écarte les griefs et déclare les dispositions contestées conformes à la Constitution en soulignant l’existence d’une différence de situation objective. Cette décision valide la structure complexe du précompte tout en tenant compte de l’influence impérative du droit de l’Union européenne sur le droit interne.

I. La reconnaissance d’une différence de situation dictée par le droit de l’Union européenne

A. L’influence de l’interprétation juridictionnelle sur le champ d’application de l’impôt

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé le 12 mai 2022 qu’une réglementation nationale ne peut imposer de précompte sur les bénéfices européens. Cette jurisprudence oblige les juridictions nationales à écarter l’application du texte pour les dividendes provenant de filiales établies dans d’autres États membres de l’Union.

Le Conseil d’État, par sa décision du 25 juillet 2022, a tiré les conséquences de cette interprétation en créant une enclave d’exonération spécifique. Les sociétés mères ne sont donc plus redevables de cet impôt à raison des redistributions de dividendes en provenance de filiales situées dans l’Union.

Cette interprétation constante de la loi fiscale modifie substantiellement la portée du premier alinéa du 1 de l’article 223 sexies du code général des impôts. Le texte originel prévoyait une application uniforme du précompte indépendamment de la source géographique des bénéfices redistribués par la société mère.

B. La justification constitutionnelle du traitement différencié des redistributions

Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ». Il estime que la localisation de la filiale constitue un critère de distinction pertinent au regard des obligations juridiques internationales.

L’exonération des dividendes européens résulte d’une adaptation nécessaire du régime fiscal pour éviter une double imposition proscrite par le droit de l’Union européenne. Cette contrainte juridique extérieure place les sociétés détenant des filiales européennes dans une situation distincte de celles possédant des filiales françaises ou extracommunautaires.

La différence de traitement constatée par le juge constitutionnel repose sur cette distinction objective entre les origines géographiques des produits de participation. Elle apparaît ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi, laquelle vise désormais à concilier l’avoir fiscal avec les exigences supranationales.

II. Une validation constitutionnelle préservant la cohérence de la fiscalité des dividendes

A. Le maintien de la finalité législative malgré la fragmentation du régime

Les dispositions contestées avaient initialement pour objet « d’assurer l’effectivité du mécanisme de l’avoir fiscal qui permet d’éviter la double imposition des dividendes ». Le précompte garantit que le crédit d’impôt attaché à la distribution correspond effectivement à une charge fiscale supportée par la société.

Le Conseil constitutionnel considère qu’il ne résulte pas des exigences européennes « une dénaturation de l’objet initial de la loi » votée par le législateur. La cohérence globale du système de l’avoir fiscal est maintenue pour les situations ne relevant pas de la sphère du droit de l’Union.

Le juge valide ainsi la persistance d’un régime hybride où la règle nationale continue de s’appliquer pleinement aux distributions issues de filiales françaises. Cette solution préserve les recettes budgétaires tout en respectant strictement le cadre constitutionnel de l’égalité devant les charges publiques.

B. La conformité du mécanisme au regard du principe d’égalité devant les charges

L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous ». Le Conseil constitutionnel juge ici que l’égalité est respectée puisque le législateur traite de manière identique les sociétés placées dans une situation comparable.

La décision souligne que le précompte reste exigible pour les redistributions de dividendes en provenance de filiales établies en France ou dans des États tiers. Ce maintien ne constitue pas une charge injustifiée dès lors qu’il participe à la logique systémique de neutralité fiscale des distributions.

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques est logiquement écarté à la suite de l’analyse du principe d’égalité. Cette décision confirme la robustesse du raisonnement constitutionnel face aux évolutions induites par la primauté du droit de l’Union européenne sur la loi nationale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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