Le Conseil constitutionnel a rendu, le 27 janvier 2023, une décision importante relative au contentieux des élections législatives. Cette décision porte sur l’incidence de l’utilisation de bulletins de vote irréguliers sur la validité d’une consultation électorale.
Lors du premier tour des élections législatives de juin 2022 dans une circonscription, des bulletins au nom d’une candidate d’une zone limitrophe furent distribués. Ces documents concernaient une candidate soutenue par le même mouvement politique que le candidat local dans le département concerné. À l’issue du dépouillement, la commission de recensement a comptabilisé cent trente-six de ces bulletins comme nuls dans une commune.
Le candidat n’ayant pas accédé au second tour a saisi le juge électoral d’une requête en annulation des opérations électorales. Il soutenait que cette confusion de bulletins avait faussé les résultats définitifs du premier tour de scrutin. Le mémoire en défense concluait au rejet de la requête car aucune manœuvre frauduleuse n’était établie lors de l’instruction.
La question posée au juge constitutionnel consistait à déterminer si l’invalidité de bulletins étrangers à la circonscription altère nécessairement la sincérité du scrutin. Il fallait apprécier si l’intention des électeurs restait identifiable malgré l’erreur matérielle commise lors de la mise à disposition des documents.
Le Conseil constitutionnel a jugé que l’absence de prise en compte de ces bulletins a modifié l’identité des candidats qualifiés pour le second tour. Constatant une altération manifeste de la sincérité du scrutin, la juridiction a prononcé l’annulation totale des opérations électorales contestées. L’étude de cette solution suppose d’analyser l’identification souveraine de l’intention des électeurs avant d’envisager la sanction de l’altération de la sincérité du scrutin.
I. L’identification souveraine de l’intention des électeurs
Le juge constitutionnel privilégie ici une approche réaliste du vote en recherchant la volonté réelle exprimée par les citoyens lors du premier tour.
A. La caractérisation d’une erreur matérielle dépourvue de manœuvre
L’instruction a révélé que des bulletins provenant d’une circonscription limitrophe ont été mêlés à ceux du candidat local dans plusieurs bureaux de vote. La décision du 27 janvier 2023 précise qu’il « ne résulte pas de l’instruction que l’utilisation des bulletins litigieux ait résulté d’une manœuvre ». Cette précision écarte toute volonté de fraude ou de manipulation du corps électoral par l’une des parties en présence. La juridiction reconnaît l’existence d’une défaillance organisationnelle ayant conduit à cette confusion regrettable entre deux candidats d’un même mouvement. Cette absence de mauvaise foi permet au juge de se concentrer sur les conséquences arithmétiques de l’erreur constatée.
B. La reconnaissance de la volonté réelle des électeurs
Le juge souligne l’absence de doute sur « l’intention d’au moins une partie des électeurs qui les ont utilisés ». En agissant ainsi, les magistrats s’attachent à la substance du suffrage plutôt qu’à la régularité formelle stricte des bulletins déposés. Ils considèrent que le vote de ces électeurs a été « privé de portée utile » du fait de leur comptabilisation comme nuls. Cette analyse permet de réintégrer symboliquement ces suffrages dans l’appréciation globale du résultat afin de mesurer l’impact de l’irrégularité. La protection de la volonté politique exprimée par l’électeur prime alors sur le formalisme rigide des règles électorales habituelles.
II. La sanction nécessaire de l’altération de la sincérité du scrutin
L’annulation des opérations électorales devient inévitable lorsque l’irrégularité constatée est susceptible d’avoir modifié l’issue ou la configuration du second tour.
A. L’influence déterminante de l’écart de voix sur la qualification
La décision se fonde sur un critère arithmétique précis pour apprécier la gravité de l’erreur matérielle survenue lors du scrutin. Le Conseil constitutionnel observe que l’écart entre le requérant et le dernier candidat qualifié pour le second tour s’élevait à huit voix. Étant donné que cent trente-six bulletins ont été déclarés nuls, le nombre de suffrages litigieux excédait largement l’écart séparant les candidats. Cette disproportion mathématique rend plausible l’hypothèse d’une inversion de l’ordre de qualification si les bulletins avaient été jugés réguliers. Le juge constate donc que l’erreur a eu un impact direct sur la liste des candidats admis à concourir au tour suivant.
B. L’impératif de protection de la sincérité du suffrage
La juridiction conclut que l’absence de prise en compte des bulletins a « pu avoir pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés ». Ce constat entraîne logiquement l’annulation du scrutin car la sincérité de la consultation populaire ne peut plus être garantie avec certitude. Le juge constitutionnel assure sa mission de gardien de la démocratie en refusant de valider une élection dont le résultat semble faussé. Cette solution protectrice impose l’organisation d’un nouveau scrutin afin de permettre aux électeurs d’exprimer leur choix de manière régulière. L’annulation garantit ainsi que le futur élu bénéficiera d’une légitimité incontestable issue d’un vote parfaitement sincère.