Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-5856 AN du 26 mai 2023

Par une décision en date du 25 mai 2023, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur les conséquences d’une omission de déclaration dans un compte de campagne électorale. La question portait sur le traitement d’un manquement aux règles de financement des campagnes électorales et sur la sanction susceptible d’en découler pour le candidat concerné.

En l’espèce, un candidat à une élection législative s’est vu reprocher par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de ne pas avoir fait figurer dans son compte de campagne les dépenses afférentes à un site internet. Ce site, bien qu’il n’ait pas été mis à jour depuis plus d’un an, était resté accessible au public pendant la période légale de campagne. Pour ce motif, la commission a rejeté son compte et a saisi le Conseil constitutionnel aux fins de statuer sur une éventuelle déclaration d’inéligibilité. Le candidat faisait valoir qu’en l’absence de mise à jour récente, la valorisation de ces frais ne s’imposait pas. Il appartenait donc au juge de l’élection de déterminer si le défaut de déclaration de cet avantage, tenant à la disponibilité d’un site internet préexistant, constituait une irrégularité justifiant non seulement le rejet du compte, mais également le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel, tout en confirmant la décision de rejet du compte, a cependant considéré qu’il n’y avait pas lieu de prononcer l’inéligibilité du candidat.

Cette décision conduit ainsi à distinguer clairement la validation du manquement aux obligations comptables de l’appréciation de la sanction attachée à celui-ci. Après avoir consacré une conception extensive des dépenses électorales (I), le Conseil constitutionnel a opéré une application mesurée de la sanction de l’inéligibilité (II).

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I. La consécration d’une conception extensive des dépenses électorales

Le Conseil constitutionnel confirme la position de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en retenant une définition large des frais de campagne (A), ce qui justifie logiquement le rejet du compte du candidat (B).

A. L’inclusion des avantages préexistants dans les frais de campagne

Le droit électoral impose aux candidats de retracer dans leur compte l’ensemble des dépenses engagées en vue de l’élection. Cette obligation inclut non seulement les paiements effectués, mais aussi les avantages en nature ou les frais supportés par des tiers, qui doivent être valorisés. En l’espèce, le Conseil constitutionnel se prononce sur le cas d’un site internet créé antérieurement à la campagne mais resté en ligne durant celle-ci.

Le juge considère que la simple disponibilité du site constitue en soi une dépense électorale. Il relève en effet que le site « était disponible pendant les six mois précédant le premier jour du mois de l’élection ». La persistance de l’accessibilité du site, présentant le candidat et son projet, est interprétée comme un moyen de propagande électorale continu. Peu importe que ce site n’ait fait l’objet d’aucune mise à jour récente ; sa seule existence et sa consultation possible par les électeurs suffisent à le qualifier d’outil de campagne, dont le coût d’hébergement et de maintenance pour la période concernée devait être évalué et inscrit au compte.

B. La validation du rejet du compte de campagne

La conséquence directe de cette omission est le rejet du compte de campagne par l’organe de contrôle. Le Conseil constitutionnel, en juge de l’élection, examine la légalité de la décision prise par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Il vérifie si les faits reprochés au candidat constituent bien un manquement aux dispositions du code électoral.

En concluant que le candidat n’a pas valorisé à tort les frais correspondant à son site internet, le Conseil confirme l’irrégularité. Il en déduit que la décision de la commission est juridiquement fondée. La formule employée, « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne », atteste d’une validation sans équivoque de l’analyse opérée par l’autorité de contrôle. Cette première étape du raisonnement démontre une application rigoureuse des règles comptables, ne laissant place à aucune tolérance pour une dépense omise, quel que soit son mode de financement ou son antériorité.

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II. Une application mesurée de la sanction de l’inéligibilité

Après avoir confirmé la faute, le Conseil constitutionnel use de son pouvoir d’appréciation pour écarter la sanction la plus sévère (A), appliquant ainsi le principe de proportionnalité à la gravité du manquement (B).

A. Le pouvoir d’appréciation souverain du juge de l’élection

Le rejet du compte de campagne n’entraîne pas automatiquement l’inéligibilité du candidat. L’article L.O. 136-1 du code électoral dispose que le Conseil constitutionnel « peut » déclarer inéligible le candidat. L’emploi de ce verbe confère au juge une marge d’appréciation pour décider de la sanction la plus adaptée. Il ne s’agit pas d’une compétence liée, mais d’un pouvoir discrétionnaire exercé au regard des circonstances de chaque espèce.

Dans la présente affaire, le Conseil met en œuvre cette prérogative. Il distingue l’étape de la vérification de la régularité du compte, qui obéit à des règles strictes, de celle du prononcé d’une sanction, qui autorise une appréciation plus nuancée. Cette dissociation permet au juge de sanctionner le manquement par le non-remboursement des frais de campagne, conséquence du rejet du compte, sans pour autant priver le candidat de son droit de se présenter à de futures élections. L’inéligibilité demeure ainsi une sanction réservée aux manquements les plus graves.

B. La prise en compte de la faible portée du manquement

Pour justifier sa décision de ne pas prononcer l’inéligibilité, le Conseil constitutionnel motive sa clémence par un critère objectif. Il indique expressément qu’« au regard du montant de la dépense omise, il n’y a pas lieu de déclarer M. ARAGON inéligible ». Cette formule révèle l’application d’un principe de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sévérité de la sanction.

Le juge constitutionnel estime que, si l’omission est avérée et justifie le rejet du compte, son incidence financière était trop faible pour être assimilée à une « volonté de fraude ou [à un] manquement d’une particulière gravité » requis par l’article L.O. 136-1 du code électoral. En procédant de la sorte, le Conseil évite une application mécanique et excessivement rigoureuse de la loi. Il réaffirme que la sanction de l’inéligibilité, par sa nature privative d’un droit fondamental, doit être réservée aux atteintes substantielles à la sincérité du scrutin et à l’égalité entre les candidats, ce que ne constituait pas en l’espèce l’oubli de déclaration d’un avantage de faible valeur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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