Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-842 DC du 12 août 2022

Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2022-842 DC du 12 août 2022, a statué sur la conformité de la loi de finances rectificative. La juridiction a été saisie par de nombreux parlementaires critiquant la sincérité du texte budgétaire ainsi que la validité de plusieurs réformes fiscales. Les requérants dénonçaient notamment la suppression de la contribution à l’audiovisuel public au profit d’une fraction prélevée sur la taxe sur la valeur ajoutée.

Les auteurs de la saisine soutenaient que l’équilibre financier était faussé par une sous-évaluation manifeste des recettes fiscales destinées à améliorer les résultats annuels. Ils contestaient également l’insertion de dispositions sociales au sein d’une loi budgétaire et l’absence d’études d’impact pour certains amendements adoptés en cours de séance. La procédure d’adoption était ainsi mise en cause au regard des exigences de clarté et de sincérité du débat législatif national.

Le litige soulevait la question de savoir si le remplacement d’une taxe affectée par une fraction de prélèvement national menaçait l’indépendance des médias publics. Le juge devait aussi se prononcer sur l’existence d’un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant le maintien d’une redevance. L’examen de la décision s’articule autour de la préservation de l’équilibre budgétaire (I) ainsi que de la réforme encadrée du financement audiovisuel (II).

I. La préservation de l’équilibre et de l’unité de la loi de finances

A. La consécration d’une sincérité budgétaire présumée

Le juge rappelle que la sincérité budgétaire se définit par « l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre » déterminé par la loi de finances. Cette appréciation s’effectue au regard des informations disponibles lors de l’élaboration du texte et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler pour la puissance publique. En l’espèce, les magistrats considèrent qu’aucun élément ne démontre une volonté délibérée de présenter des hypothèses erronées pour masquer la réalité financière.

Les prévisions de recettes et de charges ne sont pas entachées d’une erreur manifeste d’appréciation susceptible de porter atteinte à l’équilibre global de la loi. Le Conseil constitutionnel refuse d’exercer un contrôle d’opportunité sur les choix politiques du pouvoir exécutif concernant les estimations fiscales sans preuve de fraude délibérée. Cette solution protège la marge de manœuvre du Gouvernement tout en encadrant strictement le contrôle juridictionnel aux seules hypothèses techniques manifestement insincères.

B. L’admission de mesures sociales rattachées au domaine budgétaire

L’article 5 de la loi autorise les salariés à convertir leurs jours de repos en majoration salariale bénéficiant d’exonérations fiscales et de cotisations sociales. Les requérants qualifiaient ce dispositif de cavalier budgétaire en estimant que ces dispositions n’avaient pas leur place dans un texte de nature financière. Cependant, le juge rejette cette analyse en soulignant que la mesure modifie directement « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ».

Les dispositions litigieuses sont regardées comme indissociables des mécanismes de compensation des pertes de recettes pour les divers organismes de protection sociale nationale. Puisque la loi de finances détermine les ressources et les charges publiques, un dispositif impactant les prélèvements obligatoires relève légitimement du domaine législatif budgétaire. L’unité de la loi étant préservée, le contrôle juridictionnel s’exerce avec une vigilance accrue sur les modalités concrètes du financement de l’audiovisuel public.

II. La réforme du financement audiovisuel sous surveillance juridictionnelle

A. L’inexistence d’une règle constitutionnelle imposant la redevance

Les députés invoquaient la loi du 31 mai 1933 pour revendiquer un principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant un financement par redevance. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en soulignant que le texte historique n’avait « ni pour objet ni pour effet de consacrer un tel principe ». La liberté du législateur de modifier ou d’abroger des dispositions antérieures est ainsi réaffirmée dès lors qu’il assure des garanties légales suffisantes.

L’argument fondé sur une tradition législative spécifique ne permet pas de limiter le pouvoir de réforme fiscale détenu par les représentants du peuple français. Le juge considère que le mode de prélèvement ne constitue pas en soi une exigence constitutionnelle intangible pour le fonctionnement des services publics audiovisuels. Cette approche pragmatique autorise la modernisation des structures de financement sans figer les instruments techniques utilisés par l’administration pour collecter les ressources nécessaires.

B. La protection de la liberté de communication par des garanties financières

Le Conseil constitutionnel souligne que la suppression de la contribution peut « affecter la garantie des ressources » du secteur audiovisuel, élément essentiel de son indépendance organique. L’indépendance des médias publics concourt directement à la mise en œuvre effective de la liberté de communication des pensées et des opinions des citoyens. Pour compenser ce risque, le juge exige que la fraction de taxe sur la valeur ajoutée allouée soit fixée à un niveau financier suffisant.

Une réserve d’interprétation impose au Parlement de fixer le montant des recettes afin que les sociétés de programme « soient à même d’exercer les missions de service public ». Les lois de finances ultérieures devront garantir chaque année des crédits permettant d’assurer la pérennité ainsi que l’autonomie réelle du secteur audiovisuel national. Enfin, cette surveillance juridictionnelle assure que la réforme fiscale ne serve pas de levier de pression politique sur les contenus diffusés par les organismes publics.

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Hassan KOHEN
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