Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-999 QPC du 17 juin 2022

Le Conseil constitutionnel, par une décision du 17 juin 2022, examine la conformité de l’article 186-1 du code de procédure pénale aux principes constitutionnels d’égalité. Un établissement public, bénéficiant du statut de témoin assisté, conteste l’impossibilité d’interjeter appel d’une ordonnance refusant de constater la prescription de l’action publique. La chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité le 20 avril 2022 afin d’apprécier la validité de cette restriction. Les Sages doivent déterminer si l’absence de recours ouvert au témoin assisté méconnaît les droits et libertés garantis par la Déclaration des droits de l’homme. La juridiction décide de censurer les dispositions législatives en relevant une rupture d’égalité injustifiée entre les personnes mises en examen selon leur statut antérieur. L’analyse de cette décision suppose d’étudier la disparité des voies de recours avant d’envisager la portée de la protection constitutionnelle du droit au procès équitable.

I. L’analyse de la disparité des voies de recours

A. La distinction de nature entre les statuts de la procédure

Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe d’égalité n’interdit pas au législateur de prévoir des règles différentes selon les situations juridiques des justiciables. Il souligne que « le témoin assisté ne peut pas, à la différence de la personne mise en examen, être placé sous contrôle judiciaire » ni faire l’objet d’une détention. Cette différence statutaire permet, en théorie, l’application de procédures distinctes pour constater la prescription de l’action publique sans heurter les garanties fondamentales de la Constitution. La décision précise que « le législateur peut, sans méconnaître le principe d’égalité devant la justice, prévoir des règles de procédure différentes » pour ces deux catégories d’acteurs. Le juge constitutionnel valide ainsi la logique de gradation des droits de la défense en fonction de la gravité des charges pesant sur l’individu poursuivi. Cette reconnaissance initiale de la spécificité du témoin assisté sert de fondement à l’examen ultérieur des conséquences concrètes de cette distinction procédurale.

B. Le mécanisme de forclusion lié à la demande de prescription

La difficulté soulevée concerne l’application de l’article 82-3 du code de procédure pénale qui encadre strictement les demandes tendant à voir constater la prescription. Cette disposition impose que la demande soit « présentée dans les six mois suivant la mise en examen ou la première audition comme témoin assisté » par le magistrat instructeur. Le Conseil relève que cette forclusion temporelle est opposable de manière définitive, y compris lorsque le justiciable change ultérieurement de statut au cours de l’information. Cette règle de procédure crée un lien indissociable entre les actes accomplis sous le statut de témoin assisté et les droits futurs de la personne. La décision met en lumière l’existence d’une contrainte pesant sur le droit de contester la poursuite de l’action publique dès la phase initiale de l’enquête. L’impossibilité d’exercer un recours contre le refus du juge d’instruction transforme alors une simple différence de statut en une véritable entrave au droit au recours.

II. La sanction d’une rupture d’égalité injustifiée

A. La discrimination fondée sur le parcours procédural antérieur

L’apport essentiel de la décision réside dans l’identification d’une inégalité de traitement entre des personnes se trouvant pourtant dans une situation juridique finale identique. Le Conseil observe qu’une « personne initialement placée sous le statut de témoin assisté qui est ensuite mise en examen » subit un préjudice définitif dans l’accès au juge. Cette personne peut être privée du droit d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction alors qu’une mise en examen directe le permettrait. Les Sages en déduisent l’existence d’une « distinction injustifiée entre les personnes mises en examen, selon qu’elles ont précédemment eu ou non le statut de témoin assisté ». Cette rupture d’égalité devant la justice justifie la déclaration d’inconstitutionnalité des mots litigieux figurant au premier alinéa de l’article 186-1 du code précité. Le juge constitutionnel protège ainsi l’équité de la procédure pénale en empêchant que le passé procédural d’un individu ne limite indûment ses droits de défense actuels.

B. La gestion des conséquences de l’inconstitutionnalité prononcée

La déclaration de non-conformité entraîne l’abrogation des dispositions contestées, mais le Conseil constitutionnel doit veiller à ne pas créer un vide juridique préjudiciable à l’ordre public. Il estime qu’une « abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver les parties du droit d’interjeter appel » de toutes les ordonnances concernées. Pour éviter ces conséquences manifestement excessives, la juridiction décide de reporter au 31 mars 2023 la date de disparition effective de la norme du droit positif. Ce report permet au législateur de réformer le code de procédure pénale afin d’harmoniser les voies de recours ouvertes au témoin assisté et à la personne mise examen. Cette modulation temporelle témoigne d’un équilibre constant entre la sanction des atteintes aux libertés et la nécessité de maintenir la continuité de l’administration de la justice. La décision assure ainsi une transition juridique sécurisée tout en garantissant pour l’avenir le respect scrupuleux du principe d’égalité entre tous les justiciables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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