Le Conseil constitutionnel a rendu, le 15 mars 2024, une décision importante relative au financement de la protection sociale des mannequins non-résidents fiscaux. Cette décision intervient suite à une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 19 décembre 2023. Le litige trouve son origine dans l’assujettissement de certaines redevances aux cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès pour des assurés travaillant en France. Ces redevances, bien que constituant des revenus du patrimoine, sont soumises à des taux particuliers de cotisations sociales par le code de la sécurité sociale. La société requérante critiquait cette mesure en invoquant une rupture caractérisée du principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Elle soutenait notamment que les mannequins non-résidents subissaient une discrimination injustifiée par rapport aux résidents fiscaux français ou à d’autres non-résidents. Le juge constitutionnel devait déterminer si la soumission de ces revenus à des cotisations sociales méconnaissait les droits et libertés garantis par la Constitution. Les sages ont déclaré la disposition législative contestée conforme à la Constitution, tout en formulant une réserve d’interprétation stricte concernant les taux applicables.
I. L’ajustement des prélèvements sociaux à la mixité du financement
A. La recherche d’une participation équivalente au financement des régimes
Le juge constitutionnel rappelle d’emblée que le financement de la protection sociale repose désormais sur une structure mixte associant étroitement les cotisations et l’impôt. Le législateur a souhaité éviter que certains assurés sociaux soient dispensés de contribuer aux charges de leur régime obligatoire en raison de leur domicile fiscal. Les sages précisent que le législateur a entendu que les intéressés « participent de manière équivalente au financement des régimes obligatoires de la sécurité sociale ». Cette volonté de neutralité fiscale entre les assurés répond à un objectif d’intérêt général manifeste dans le cadre de la solidarité nationale. La différence de traitement entre résidents et non-résidents est jugée en rapport direct avec l’objet des cotisations destinées à couvrir des prestations d’assurance.
B. La distinction fondée sur l’affiliation à un régime obligatoire
Le Conseil écarte également le grief de discrimination entre les non-résidents selon la nature de leurs revenus perçus sur le territoire national. Il souligne que les artistes et mannequins concernés sont obligatoirement affiliés à un régime de sécurité sociale au titre de leur activité professionnelle. Cette affiliation obligatoire place ces travailleurs dans une situation différente des autres personnes non-résidentes percevant simplement des revenus du patrimoine sans lien social. Dès lors, le juge estime que « la différence de traitement ainsi instituée, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi ». La cohérence du système de protection sociale justifie que l’obligation de cotiser suive l’affiliation, indépendamment de la localisation de la résidence fiscale.
II. L’encadrement de la compétence réglementaire par la réserve d’interprétation
A. L’interdiction des ruptures caractérisées de l’égalité devant les charges
Si la conformité de la loi est admise, elle demeure toutefois conditionnée par une réserve d’interprétation relative au pouvoir de fixation des taux. Le Conseil constitutionnel limite strictement la marge de manœuvre du pouvoir réglementaire pour éviter toute charge fiscale excessive ou disproportionnée pour l’assuré. Les dispositions contestées ne sauraient autoriser le règlement à fixer des taux créant des « ruptures caractérisées de l’égalité dans la participation des assurés sociaux ». Le juge veille ainsi à ce que la contribution demandée aux non-résidents reste proportionnelle à leurs facultés contributives et aux bénéfices du régime. Cette vigilance garantit que le mécanisme de compensation financière ne se transforme pas en une sanction pécuniaire indirecte pour les travailleurs mobiles.
B. La préservation de la sécurité juridique des assurés sociaux
La décision aborde enfin le grief relatif au principe de sécurité juridique découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme. Le juge observe que les dispositions critiquées s’appliquent uniquement pour l’avenir sans remettre en cause des situations légalement acquises ou des effets de contrats. En précisant que la loi se borne à prévoir l’application de taux particuliers à compter de son entrée en vigueur, le Conseil rejette toute rétroactivité. La clarté de la règle permet aux opérateurs économiques et aux travailleurs de prévoir l’évolution de leurs charges sociales lors de leurs activités. Le Conseil constitutionnel confirme ainsi la validité du dispositif législatif tout en protégeant les assurés contre d’éventuels abus réglementaires dans la détermination des taux.