Le Conseil constitutionnel a rendu, le 14 mars 2024, une décision n° 2023-1081 QPC portant sur les cotisations sociales des mannequins et artistes non-résidents. Une société de mannequins contestait la conformité de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale prévoyant l’assujettissement de certaines redevances à des taux particuliers. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait transmis cette question prioritaire de constitutionnalité au juge constitutionnel par un arrêt rendu le 19 décembre 2023. Les requérants soutenaient que ce dispositif créait une différence de traitement injustifiée entre les mannequins selon leur lieu de résidence fiscale pour leurs revenus du patrimoine. Ils invoquaient également une méconnaissance des principes de sécurité juridique et d’égalité devant les charges publiques garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le juge devait déterminer si l’assujettissement de ces redevances à des cotisations sociales spécifiques portait atteinte aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques. Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition conforme à la Constitution sous une réserve d’interprétation visant à garantir une participation financière équilibrée des assurés sociaux.
I. Une différenciation fiscale justifiée par l’équivalence des charges sociales
A. La légitimité d’un objectif de participation équivalente au financement
Le législateur a entendu soumettre à des cotisations sociales les redevances perçues par des mannequins non-résidents fiscaux lorsqu’ils sont affiliés à un régime obligatoire français. Le Conseil constitutionnel souligne que « le financement de la protection sociale n’est plus assuré par les seules cotisations sociales mais pour partie par l’impôt ». Cette évolution majeure justifie que le législateur cherche à compenser l’absence d’assujettissement de ces revenus à la contribution sociale généralisée par des cotisations spécifiques.
En adoptant ces dispositions, le législateur a souhaité que les assurés sociaux « participent de manière équivalente au financement des régimes obligatoires de la sécurité sociale ». La volonté d’éviter une dispense totale de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine de certains assurés obligatoirement affiliés constitue un objectif d’intérêt général. Cette participation financière s’inscrit dans une logique de solidarité nationale nécessaire à la pérennité du système de protection sociale géré par les organismes publics.
B. La reconnaissance d’une situation spécifique pour les assurés non-résidents
Le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées instaurent « une différence de traitement entre ces assurés sociaux, selon qu’ils sont ou non résidents fiscaux ». Cette distinction repose sur le fait que les mannequins résidant à l’étranger ne sont pas soumis aux contributions sociales classiques sur leurs revenus mondiaux. Leur situation juridique et fiscale diffère donc de celle des assurés résidant en France qui supportent l’intégralité des prélèvements sociaux sur leur patrimoine.
L’affiliation obligatoire à un régime de sécurité sociale au titre d’une activité exercée sur le territoire national place ces personnes dans une position particulière. Le juge considère que cette différence de situation est en rapport direct avec l’objet de la loi visant à sécuriser les ressources des régimes. Le mécanisme prévoit que « les redevances qu’ils perçoivent, qui constituent des revenus du patrimoine, sont soumises à ces taux particuliers » fixés par le pouvoir réglementaire.
II. Un encadrement rigoureux du pouvoir réglementaire par le juge
A. La réserve d’interprétation interdisant les ruptures caractérisées d’égalité
Le Conseil constitutionnel apporte une limite importante à la liberté du gouvernement pour fixer le montant des cotisations applicables à ces revenus du patrimoine. Les dispositions ne sauraient autoriser la création de « ruptures caractérisées de l’égalité dans la participation des assurés sociaux au financement du régime obligatoire ». Cette réserve d’interprétation oblige le pouvoir réglementaire à maintenir une proportionnalité stricte entre les prélèvements imposés aux non-résidents et ceux pesant sur les résidents.
Le juge constitutionnel veille ainsi à ce que la charge pesant sur les mannequins non-résidents ne devienne pas manifestement excessive au regard de leurs facultés. Le principe d’égalité devant les charges publiques impose que les critères retenus par le législateur soient à la fois objectifs et rationnels. La décision garantit que l’équivalence recherchée entre les deux catégories d’assurés ne se transforme pas en une discrimination négative pour les travailleurs étrangers.
B. La validation du dispositif au regard de la sécurité juridique
Le grief tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique est écarté par le Conseil constitutionnel de manière concise et ferme dans sa décision. Le juge observe que les dispositions critiquées se bornent à prévoir l’application de taux particuliers « à compter de leur entrée en vigueur » sans rétroactivité. La loi n’a pas pour effet de remettre en cause des situations légalement acquises ou de porter atteinte à des espérances légitimes des redevables.
L’absence d’arbitraire dans l’application de la norme fiscale et sociale permet de conclure à la conformité du texte avec l’article 16 de la Déclaration de 1789. Le Conseil constitutionnel confirme ainsi la validité du système de financement mixte de la protection sociale sous la réserve de prudence précédemment énoncée. Cette décision stabilise le régime juridique des redevances versées aux artistes étrangers tout en protégeant les principes constitutionnels fondamentaux contre d’éventuels excès réglementaires.