Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-5985 AN du 16 juin 2023

Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2023-5985 AN du 15 juin 2023, s’est prononcé sur une saisine de la Commission nationale des comptes de campagne. Un candidat aux élections législatives de juin 2022 dans la première circonscription du Pas-de-Calais a obtenu plus d’un pour cent des suffrages exprimés. Son compte de campagne présentait des dépenses et des recettes supérieures au seuil de quatre mille euros fixé par les dispositions réglementaires du code électoral. Le candidat a toutefois omis de faire présenter son compte par un membre de l’ordre des experts-comptables comme l’exige pourtant la loi.

La Commission nationale a saisi le juge électoral le 11 janvier 2023 après avoir constaté l’absence de certification du compte de campagne par un professionnel. Le candidat a soutenu qu’il se trouvait dans l’incapacité financière de supporter les honoraires d’un expert-comptable pour justifier ce manquement aux règles. La question de droit porte sur la possibilité de sanctionner par une inéligibilité l’absence de présentation du compte par un expert-comptable malgré les difficultés financières alléguées. Le Conseil constitutionnel retient que la méconnaissance des obligations légales justifie le prononcé de l’inéligibilité du candidat pour une durée de un an. Cette analyse se concentrera d’abord sur la rigueur de l’obligation de présentation du compte avant d’examiner la portée de la sanction d’inéligibilité.

I. La rigueur de l’obligation de présentation du compte par un expert-comptable

A. Le caractère impératif des seuils de certification professionnelle

Le code électoral dispose que « chaque candidat aux élections législatives soumis au plafonnement prévu à l’article L. 52-11 est tenu d’établir un compte de campagne ». Cette obligation s’applique dès lors que le candidat a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou bénéficié de dons de personnes physiques. Le texte précise que « ce compte doit être présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables qui met le compte en état d’examen ». L’intervention du professionnel constitue une garantie de sincérité et de transparence pour le contrôle ultérieur effectué par la Commission nationale des comptes de campagne.

La dispense de cette présentation n’est autorisée que si le candidat obtient moins de 5 % des voix et si les flux financiers restent limités. En l’espèce, le compte de campagne faisait état d’un montant de dépenses et de recettes supérieur au seuil réglementaire de quatre mille euros. L’absence de recours à un expert-comptable constitue donc une violation directe des prescriptions techniques édictées par l’article L. 52-12 du code électoral. La lettre de la loi ne laisse aucune marge d’appréciation au candidat quant à l’opportunité de solliciter cette expertise professionnelle pour son compte.

B. L’inefficacité des justifications financières face aux obligations légales

Le candidat a tenté de justifier son omission en invoquant des obstacles financiers qui l’auraient empêché de rémunérer un membre de l’ordre des experts-comptables. Le Conseil constitutionnel rejette fermement cet argument en affirmant que « cette circonstance n’est pas de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». Les règles de financement des campagnes électorales revêtent un caractère d’ordre public auquel les candidats ne peuvent déroger pour des raisons de convenance personnelle. La précarité financière ne saurait constituer un cas de force majeure permettant de s’affranchir des formalités protectrices de l’équilibre du scrutin national.

L’obligation de certification s’impose uniformément à tous les compétiteurs afin de prévenir toute dissimulation ou manipulation des flux financiers au cours de la période électorale. Le juge constitutionnel veille au respect strict du formalisme comptable pour assurer l’égalité des armes entre les différents candidats à la représentation de la Nation. Le manquement constaté entraîne nécessairement des conséquences juridiques sévères sur la capacité du candidat à se présenter à de futures échéances électorales ou mandats. L’analyse de la gravité de cette omission permet alors de fonder la décision de sanctionner le comportement fautif par une période d’inéligibilité.

II. La sanction d’inéligibilité au service de la transparence électorale

A. La qualification d’un manquement d’une particulière gravité

L’article L.O. 136-1 prévoit que le juge peut déclarer inéligible le candidat en cas de « manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes ». Le Conseil constitutionnel estime que l’absence de présentation du compte par un expert-comptable, malgré le dépassement des seuils, revêt ce caractère de gravité. Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à protéger l’intégrité du processus démocratique contre les dérives potentielles du financement de la vie politique. Le défaut de certification prive l’administration d’une vérification primaire essentielle à la validation de la régularité des opérations comptables engagées par le candidat.

La loi organique n’exige pas une volonté de fraude délibérée pour justifier le prononcé d’une inéligibilité à l’encontre d’un candidat aux élections législatives nationales. Le simple constat de la méconnaissance objective d’une règle fondamentale de présentation des comptes suffit à caractériser la faute d’une particulière gravité aux yeux du juge. En l’espèce, le manquement est établi sans ambiguïté puisque le candidat reconnaît lui-même n’avoir pas sollicité le concours obligatoire d’un professionnel de la comptabilité. La décision du Conseil constitutionnel confirme ainsi la primauté de la transparence financière sur les contingences individuelles ou les difficultés matérielles rencontrées par les candidats.

B. Une mesure de police électorale proportionnée à la durée d’un an

Le Conseil constitutionnel décide de « prononcer l’inéligibilité à tout mandat pour une durée d’un an à compter de la présente décision » pour sanctionner le manquement. Cette durée de un an apparaît comme une sanction intermédiaire, le code électoral permettant d’aller jusqu’à une interdiction de se présenter pendant trois années. Le juge adapte la sévérité de la mesure en tenant compte de la nature de l’irrégularité sans pour autant retenir le maximum légal de la peine. La sanction prive le candidat de sa capacité électorale passive tout en assurant une fonction préventive pour les futurs scrutins organisés sur le territoire français.

Cette décision illustre la fonction de régulateur exercée par le Conseil constitutionnel pour garantir le respect du plafonnement des dépenses engagées lors des compétitions politiques. La publication de la décision au Journal officiel assure l’information des tiers et l’exécution effective de la mesure d’interdiction de solliciter un nouveau mandat. Le juge électoral réaffirme que la rigueur du contrôle financier est la condition indispensable de la sincérité des résultats proclamés à l’issue du scrutin. L’exigence de probité dans le financement de la campagne demeure un pilier central du droit électoral contemporain dont le respect est assuré avec fermeté.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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