Le Conseil constitutionnel a rendu, le 15 juin 2023, une décision relative au contrôle des comptes de campagne lors des élections législatives de juin 2022. Dans cette affaire, un candidat ayant obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés n’avait pas déposé son compte de campagne dans les délais légaux. Cette omission constitue une méconnaissance formelle des prescriptions de l’article L. 52-12 du code électoral, lequel impose une reddition rigoureuse des comptes électoraux. Saisi de ce manquement, le juge constitutionnel devait déterminer si l’absence de dépôt justifiait le prononcé d’une inéligibilité à l’encontre de l’intéressé. Le Conseil a jugé que le manquement ne justifiait pas une telle mesure en raison de l’absence avérée de recettes et de dépenses électorales. L’analyse de cette solution invite à examiner l’exigence de dépôt des comptes (I), avant d’étudier la clémence du juge face à un manquement sans incidence financière (II).
**I. L’exigence de transparence dans le financement électoral**
L’équilibre de la vie démocratique repose sur un contrôle strict des moyens financiers engagés par les candidats lors des compétitions électorales nationales.
*A. Le caractère impératif de la reddition des comptes*
Selon l’article L. 52-12 du code électoral, tout candidat dépassant le seuil de 1 % des suffrages doit établir et déposer un compte de campagne. Ce document doit retracer « l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection ». La loi prévoit également que le compte « doit être déposé à la Commission nationale des comptes de campagne » dans un délai précis. Cette formalité garantit que les candidats respectent le plafonnement des dépenses et l’interdiction de certains types de financements occultes ou illicites. Le législateur a ainsi entendu moraliser la vie publique en imposant une traçabilité rigoureuse des fonds utilisés pour la propagande électorale.
*B. La constatation d’une méconnaissance des délais prescrits*
En l’espèce, il est établi que le candidat « n’a pas déposé de compte de campagne alors qu’il y était tenu » par les textes. Cette abstention place l’intéressé dans une situation d’irrégularité manifeste au regard des conditions de forme et de délai imposées par le code électoral. Le juge constitutionnel relève que ce défaut de présentation fait suite à un scrutin s’étant tenu le 12 juin 2022 devant les électeurs. Or, le délai légal expire le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, échéance que le candidat n’a manifestement pas respectée. Cette rigueur temporelle permet à l’autorité de contrôle d’exercer sa mission de vérification dans des délais compatibles avec le contentieux électoral. Toutefois, la constatation matérielle du manquement n’entraîne pas automatiquement la sanction la plus sévère prévue par les textes organiques applicables.
**II. La modulation de la sanction par l’appréciation de la gravité du manquement**
Bien que l’obligation de dépôt soit impérative, le juge constitutionnel conserve un pouvoir d’appréciation souverain quant à la nécessité de prononcer une inéligibilité.
*A. L’absence de flux financiers comme élément d’atténuation*
La décision souligne que le candidat a produit devant le Conseil des « relevés du compte bancaire ouvert par son mandataire attestant l’absence de dépenses ». Cette preuve matérielle démontre que l’omission de dépôt ne visait pas à dissimuler une fraude ou un dépassement caractérisé du plafond de dépenses. En l’absence totale de mouvements d’argent, le compte de campagne aurait été purement formel, ne présentant aucun élément comptable réel à examiner. Le juge privilégie ici une approche concrète de la transparence financière au détriment d’un formalisme punitif qui sanctionnerait un compte néant. L’utilité sociale du compte de campagne se trouve en effet réduite lorsque aucun financement extérieur n’a été mobilisé pour la candidature.
*B. Le refus de l’inéligibilité pour absence de gravité particulière*
L’article L.O. 136-1 dispose que l’inéligibilité peut être déclarée « en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité » aux règles. En l’espèce, le Conseil estime que le « manquement commis ne justifie pas » que le candidat soit déclaré inéligible sur ce fondement légal précis. Cette position confirme que le simple retard ou l’absence de dépôt ne constitue pas nécessairement un manquement d’une gravité suffisante par lui-même. La sanction d’inéligibilité, particulièrement lourde car elle prive un citoyen de son droit de se porter candidat, doit rester proportionnée à la faute. Le juge constitutionnel évite ainsi de transformer une règle de transparence en un obstacle démesuré pour les candidats n’ayant engagé aucuns frais.