Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6034 AN du 1 juin 2023

Par une décision en date du 1er juin 2023, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur les conséquences du dépôt tardif d’un compte de campagne électorale. La portée de cette décision réside dans l’appréciation de la gravité d’un manquement purement formel aux obligations de financement politique. Elle invite à une réflexion sur la hiérarchie des normes et l’esprit de la loi en matière de transparence de la vie publique.

En l’espèce, un candidat à une élection législative, ayant recueilli plus de 1 % des suffrages exprimés, était tenu de déposer un compte de campagne avant le 19 août 2022 à 18 heures. Ce dernier n’a toutefois accompli cette formalité que le 24 octobre 2022, soit bien après l’expiration du délai légal imparti par l’article L. 52-12 du code électoral. Saisi de ce manquement, le juge de l’élection devait déterminer si une sanction d’inéligibilité devait être prononcée à l’encontre de l’intéressé, sur le fondement de l’article L.O. 136-1 du même code. Pour sa défense, le candidat a fait valoir une attestation de son mandataire financier ainsi qu’une attestation bancaire démontrant l’absence totale de recettes et de dépenses sur le compte dédié à sa campagne. La question de droit soumise au Conseil constitutionnel était donc de savoir si le simple non-respect du délai de dépôt du compte de campagne, en l’absence de toute opération financière, constitue un manquement d’une particulière gravité justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité.

À cette interrogation, le Conseil constitutionnel répond par la négative, considérant que les circonstances de l’espèce ne permettent pas de caractériser une telle gravité. Il juge que, malgré le retard avéré, les documents produits démontrent une absence totale de flux financiers, privant ainsi le manquement de sa substance. Par conséquent, il estime que « le manquement commis ne justifie pas que [le candidat] soit déclaré inéligible en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral ». Cette décision, qui privilégie une approche substantielle du droit du financement politique (I), confirme la place centrale du principe de proportionnalité dans l’appréciation de la sanction électorale (II).

I. L’appréciation substantielle du manquement à l’obligation de dépôt du compte de campagne

Le Conseil constitutionnel, tout en reconnaissant la réalité de l’infraction aux règles de procédure (A), choisit de la neutraliser en se fondant sur l’absence concrète d’enjeux financiers (B).

A. La reconnaissance d’une violation formelle des règles de financement

La décision du Conseil constitutionnel ne remet nullement en cause l’existence du manquement. Il rappelle d’abord avec précision le cadre légal, citant l’article L. 52-12 du code électoral qui impose à tout candidat ayant obtenu au moins 1 % des suffrages de déposer un compte de campagne avant une date butoir précise. En l’espèce, le juge constate sans ambiguïté que « M. DELANGLE a déposé son compte de campagne le 24 octobre 2022, soit après l’expiration de ce délai ». La matérialité de l’infraction est donc pleinement établie et n’est pas contestée. Le respect des délais de dépôt constitue une obligation essentielle qui garantit le contrôle effectif et rapide de la régularité des financements par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Le Conseil ne minimise donc pas l’importance de cette formalité, qui participe à la transparence et à la sincérité des scrutins. Le simple fait que le dossier soit examiné au fond témoigne que le non-respect des délais déclenche automatiquement la saisine du juge électoral. En cela, la décision confirme que les règles procédurales du financement électoral conservent leur caractère impératif. Toutefois, le Conseil constitutionnel refuse de s’en tenir à une analyse purement littérale et automatique des textes pour en tirer toutes les conséquences possibles en matière de sanction.

B. La neutralisation du manquement par l’absence d’activité financière

L’élément déterminant du raisonnement du juge réside dans l’examen des circonstances factuelles entourant le manquement. Le Conseil prend acte des pièces versées au dossier par le candidat, à savoir « une attestation d’absence de dépense et de recette établie par son mandataire financier accompagnée d’une attestation bancaire confirmant que ce compte n’a connu aucun mouvement ». Cette absence totale d’opérations financières devient le pivot de la décision. Elle prive le retard dans le dépôt de toute portée pratique en matière de fraude ou de dissimulation. L’objectif de la législation sur les comptes de campagne est de contrôler des flux financiers, d’en vérifier l’origine et l’emploi. Or, en l’absence de tels flux, le contrôle, même s’il avait été opéré dans les délais, n’aurait eu aucune matière à examiner.

En se focalisant sur cette réalité matérielle, le Conseil constitutionnel opère une distinction fondamentale entre le contenant et le contenu. Le manquement affecte le contenant, c’est-à-dire la procédure de dépôt, mais le contenu, à savoir le compte lui-même, est vide de toute substance financière. C’est cette vacuité qui conduit le juge à considérer que l’infraction, bien que réelle, est dépourvue de l’essentiel de sa gravité. La sanction de l’inéligibilité apparaîtrait alors disproportionnée face à une faute n’ayant eu aucune incidence sur la sincérité du scrutin et la transparence financière.

En refusant de sanctionner un manquement purement formel, le Conseil constitutionnel ne fait pas que préciser le sens des obligations comptables ; il réaffirme également avec force le rôle du principe de proportionnalité dans sa fonction de juge électoral.

II. La réaffirmation du principe de proportionnalité dans l’application de la sanction d’inéligibilité

Cette décision illustre parfaitement la manière dont le Conseil met en balance la lettre de la loi et la sévérité de la sanction (A), offrant ainsi une solution pragmatique dont la portée reste néanmoins circonscrite (B).

A. L’exigence d’un manquement d’une particulière gravité

Le Conseil constitutionnel fonde explicitement sa décision sur l’interprétation de l’article L.O. 136-1 du code électoral. Ce texte dispose que le juge « peut déclarer inéligible » le candidat en cas de manquement, notamment en cas de non-dépôt du compte dans les délais. L’emploi du verbe « pouvoir » confère au juge une faculté d’appréciation et non une compétence liée. Plus encore, le texte conditionne cette sanction à « une volonté de fraude ou [à un] manquement d’une particulière gravité ». C’est ce dernier critère que le Conseil explore ici. Il ne se contente pas de constater un manquement ; il en mesure l’intensité.

Par cette analyse, le juge constitutionnel rappelle que l’inéligibilité est une peine, et qu’à ce titre, elle doit être proportionnée à la faute commise. Prononcer une telle sanction, qui prive un citoyen de son droit d’être élu, pour une simple négligence administrative sans aucune conséquence financière serait manifestement excessif. La décision souligne que la gravité ne s’apprécie pas de manière abstraite, par la seule violation de la règle, mais concrètement, au regard des objectifs poursuivis par cette règle. L’absence de mouvement sur le compte bancaire devient la preuve irréfutable que les principes de transparence et d’égalité entre les candidats n’ont pas été atteints, rendant le manquement simple et non d’une « particulière gravité ».

B. La portée d’une solution pragmatique et prévisible

Cette décision ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans une logique établie de contrôle de proportionnalité. Elle clarifie cependant de manière explicite la situation très spécifique du candidat dont le compte de campagne est resté totalement inactif. Il ne s’agit pas d’une invitation à la négligence, mais de la reconnaissance qu’une faute purement administrative ne saurait être assimilée à une tentative de dissimulation ou à une gestion irrégulière de fonds. La solution apporte une sécurité juridique appréciable pour les candidats qui, n’ayant engagé aucune dépense ni perçu aucune recette, pourraient par simple oubli ou méconnaissance omettre de déposer à temps un compte vierge.

La portée de cette jurisprudence reste toutefois limitée à cette hypothèse stricte. La solution serait sans aucun doute différente si le compte, même déposé tardivement, avait révélé des opérations financières, même modestes. Dans ce cas, le retard aurait effectivement entravé le contrôle de la régularité de ces opérations, et la qualification de manquement d’une particulière gravité aurait pu être retenue. La décision opère donc une distinction claire entre l’oubli procédural sans enjeu substantiel et le manquement qui affecte, même potentiellement, la sincérité du financement de la campagne. Elle confirme que le juge de l’élection, loin d’être un simple automate appliquant la loi, demeure un appréciateur des faits, soucieux d’adapter la rigueur du droit à la réalité des situations.

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Hassan KOHEN
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