Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2023-6049 AN du 17 mai 2023, précise les contours de l’obligation de dépôt du compte de campagne. L’affaire concerne un candidat aux élections législatives de juin 2022 dont les comptes n’ont pas été transmis à l’autorité de contrôle financier. La Commission nationale des comptes de campagne a constaté l’absence de dépôt et a saisi le juge pour prononcer une éventuelle peine d’inéligibilité. La question centrale consiste à déterminer si le score électoral du candidat justifiait l’application stricte des obligations comptables prévues par le code électoral. Le juge constitutionnel écarte toute sanction en relevant que l’intéressé n’avait pas atteint le seuil minimal de suffrages imposant une telle formalité administrative. L’analyse portera d’abord sur la détermination rigoureuse de l’obligation de dépôt avant d’aborder l’absence de fondement juridique à la sanction d’inéligibilité.
I. La détermination rigoureuse de l’obligation de dépôt
A. Le rappel des conditions d’assujettissement au contrôle financier
Le juge fonde son raisonnement sur l’article L. 52-12 du code électoral relatif au plafonnement des dépenses des candidats aux élections législatives. Le compte doit retracer « l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection ». Cette obligation de transparence permet de vérifier le respect des plafonds de dépenses et l’origine licite des financements recueillis par les candidats. L’équilibre financier demeure impératif puisque le document comptable « doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit » sous peine de sanction. La loi impose également le recours à un expert-comptable pour mettre le compte en état d’examen et assurer la présence des justificatifs requis.
B. L’interprétation stricte du seuil de représentativité électorale
Le dépôt doit s’effectuer « au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin » auprès de la commission nationale. Cette formalité est impérative lorsque le candidat a « obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés » ou perçu des dons de personnes physiques. Le législateur a souhaité dispenser les candidats ayant un faible ancrage électoral de contraintes administratives trop lourdes pour de petites structures de campagne. La décision souligne que cette dispense de présentation par un expert-comptable s’applique également sous des seuils financiers et électoraux cumulatifs très précis. Une lecture rigoureuse des scores obtenus est donc indispensable avant de constater un quelconque manquement susceptible de justifier une saisine du juge.
II. L’absence de fondement juridique à la sanction d’inéligibilité
A. Le constat souverain d’une erreur d’appréciation factuelle
L’instruction a démontré que le candidat concerné n’avait recueilli que « 0.09 % des suffrages exprimés » lors du premier tour de scrutin en juin. La Commission nationale des comptes de campagne s’était fondée sur une estimation erronée pour exiger le dépôt d’un compte de la part de l’intéressé. Le juge constitutionnel exerce un contrôle entier sur les faits afin de s’assurer que les conditions de saisine sont effectivement réunies par l’autorité administrative. En l’espèce, le franchissement du seuil de un pour cent n’était pas établi, ce qui rendait l’obligation de dépôt totalement inapplicable à ce candidat. Le Conseil redresse ainsi une erreur matérielle qui aurait pu conduire à une application indue de la rigueur des textes organiques en vigueur.
B. La protection juridictionnelle contre une sanction disproportionnée
En conséquence, le Conseil juge que « c’est à tort que la Commission a considéré que le candidat était tenu de déposer un compte ». Le défaut de base légale interdit au juge de « prononcer l’inéligibilité » pour un manquement qui n’est pas juridiquement constitué dans cette situation précise. Cette décision illustre le respect scrupuleux du principe de légalité des poursuites par le juge électoral face aux propositions de sanctions de l’administration. La protection des droits du candidat passe par cette vérification minutieuse de l’assujettissement réel aux règles de financement avant toute mesure d’éviction politique. Le dispositif confirme qu’il n’y a pas lieu de sanctionner une absence de dépôt lorsque la loi n’imposait aucune diligence particulière au justiciable.