Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6089 AN du 22 juin 2023

Par une décision en date du 22 juin 2023, le Conseil constitutionnel, statuant en sa qualité de juge électoral, a précisé les contours de l’obligation de dépôt d’un compte de campagne et les conditions de la sanction d’inéligibilité qui peut en découler. En l’espèce, un candidat aux élections législatives de juin 2022 avait obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés. Il n’avait pas déposé de compte de campagne, mais n’avait pas non plus restitué les carnets de reçus-dons qui lui avaient été remis, ce qui laissait supposer qu’il avait pu percevoir des dons de personnes physiques.

Saisie par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la juridiction constitutionnelle était invitée à se prononcer sur l’inéligibilité de ce candidat. La Commission estimait en effet que la non-restitution des carnets de reçus-dons créait une obligation de dépôt d’un compte de campagne, et que le manquement à cette obligation justifiait une sanction. Le candidat faisait valoir de son côté qu’un conflit familial l’avait contraint à quitter son domicile et le plaçait dans l’impossibilité matérielle de récupérer et de restituer lesdits carnets.

La question de droit posée au Conseil constitutionnel était donc de savoir si l’impossibilité matérielle pour un candidat de restituer ses carnets de reçus-dons, en raison de circonstances personnelles particulières, est de nature à écarter la qualification de manquement d’une particulière gravité et, par conséquent, la sanction d’inéligibilité.

Le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative. Il juge qu’en dépit du manquement à l’obligation de dépôt, les « circonstances particulières de l’espèce » tenant à l’impossibilité avérée pour le candidat d’accéder aux documents, ne justifient pas le prononcé d’une inéligibilité. Ainsi, si la décision établit fermement une présomption de perception de dons en cas de non-restitution des carnets (I), elle en tempère la portée en admettant qu’une impossibilité matérielle puisse faire obstacle à la sanction la plus sévère (II).

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I. La consolidation du régime de responsabilité comptable du candidat

Le Conseil constitutionnel profite de cette affaire pour réaffirmer la rigueur des obligations pesant sur les candidats en matière de financement politique. Il le fait en consacrant une présomption prétorienne qui renforce le contrôle (A), ce qui rend le défaut de dépôt du compte de campagne d’autant plus répréhensible (B).

A. L’instauration d’une présomption de perception de dons

Le code électoral soumet à l’obligation d’établir un compte de campagne tout candidat ayant obtenu au moins 1 % des suffrages ou ayant bénéficié de dons de personnes physiques. Pour le juge, la preuve de la perception de dons peut résulter d’une présomption. Il énonce ainsi de manière claire que « l’absence de restitution par le candidat des carnets de reçus-dons fait présumer de la perception de dons de personnes physiques visées à l’article L. 52-8 ».

Cette règle jurisprudentielle est nouvelle dans sa formulation et particulièrement sévère. Elle déplace la charge de la preuve sur le candidat, qui ne peut plus se contenter d’affirmer n’avoir reçu aucun don. Faute de restituer les carnets vierges, il est réputé en avoir utilisé les reçus et donc avoir perçu des fonds. Cette solution pragmatique vise à prévenir toute dissimulation de recettes en responsabilisant le candidat, qui est le seul détenteur des moyens de prouver l’absence de financement privé. La présomption apparaît donc comme un outil de contrôle efficace et nécessaire à la transparence de la vie politique.

B. Le manquement caractérisé à l’obligation de dépôt du compte

La conséquence directe de cette présomption est de rendre obligatoire le dépôt d’un compte de campagne, même pour un candidat ayant obtenu un score très faible. En ne déposant pas de compte, le candidat en l’espèce a donc commis une irrégularité objective au regard des dispositions de l’article L. 52-12 du code électoral. Le raisonnement suivi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques était donc parfaitement fondé en droit.

Le Conseil constitutionnel valide implicitement cette première étape de l’analyse. Le manquement est constitué et ne fait l’objet d’aucune discussion. Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle le respect des règles formelles de la comptabilité de campagne est une exigence substantielle de la sincérité du scrutin. En principe, un tel manquement tombe sous le coup de l’article L.O. 136-1 du code électoral, qui autorise le juge à prononcer une peine d’inéligibilité. C’est donc moins sur l’existence de la faute que sur l’appréciation de sa gravité que la décision innove.

II. L’admission exceptionnelle d’une cause d’atténuation de la sanction

Tout en reconnaissant la matérialité de l’infraction, le Conseil constitutionnel refuse de prononcer l’inéligibilité. Il introduit pour ce faire une appréciation des circonstances factuelles qui a permis de neutraliser la sanction (A), tout en prenant soin de limiter la portée de cette solution clémente (B).

A. La prise en compte de l’impossibilité matérielle

La nouveauté de la décision réside dans l’analyse des motifs justifiant le manquement. Le juge électoral constate que le candidat « a été et demeure dans l’impossibilité matérielle de restituer les carnets de reçus-dons ». Cette impossibilité est directement liée à un conflit familial l’empêchant d’accéder à son ancien domicile où se trouvent les documents. Le Conseil ne se contente pas de l’allégation du candidat, mais s’appuie sur les éléments de l’instruction pour la tenir pour établie.

En qualifiant ainsi la situation, le juge admet qu’une circonstance extérieure à la volonté du candidat et insurmontable peut retirer au manquement son caractère de « particulière gravité ». Il ne s’agit pas d’une excuse absolutoire qui effacerait l’irrégularité, mais d’une cause de non-imputabilité de la faute sur le terrain de la sanction. Cette prise en compte s’apparente à une forme de force majeure, bien que le terme ne soit pas employé. Le Conseil fait preuve d’une appréciation *in concreto* de la situation personnelle du candidat, ce qui nuance la rigueur habituelle de son contrôle.

B. Une solution d’espèce à la portée maîtrisée

L’audace de la solution est cependant immédiatement contenue. Le Conseil constitutionnel prend soin de préciser que sa décision est motivée par « les circonstances particulières de l’espèce ». Cette formule usuelle signale la volonté du juge de ne pas créer un principe général d’exonération. Il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à toutes les justifications fondées sur des difficultés personnelles. La solution reste une exception, étroitement liée à la démonstration d’une véritable impossibilité, et non d’une simple négligence ou d’une difficulté passagère.

La portée de cette décision est donc double. D’une part, elle humanise le contentieux du financement politique en reconnaissant que le candidat n’est pas infaillible et peut être victime de situations qui le dépassent. D’autre part, elle renforce l’exigence probatoire pour tout candidat qui souhaiterait s’en prévaloir à l’avenir. En définitive, cette décision rappelle que si la loi électorale est stricte, son application par le juge peut être empreinte de mesure lorsque l’équité l’exige, sans pour autant compromettre l’impératif de transparence financière.

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Hassan KOHEN
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