Le Conseil constitutionnel a rendu le 21 juin 2023 une décision relative au contentieux de l’élection d’un député à l’Assemblée nationale. Un candidat aux élections législatives de juin 2022 n’a pas déposé de compte de campagne dans les délais prescrits par le code électoral. La Commission nationale des comptes de campagne a saisi le juge constitutionnel car l’intéressé n’avait pas restitué ses carnets de reçus-dons. Le candidat soutient qu’un conflit familial l’empêchait d’accéder à son domicile pour récupérer les documents nécessaires à ses obligations légales. La question posée au juge porte sur le caractère automatique ou proportionné de la sanction d’inéligibilité en cas de manquement aux règles de financement. Le Conseil constitutionnel écarte la déclaration d’inéligibilité en raison des obstacles matériels rencontrés par le candidat durant la période de dépôt.
I. La caractérisation d’un manquement aux obligations comptables électorales
A. L’exigence légale du dépôt d’un compte de campagne
Le code électoral impose à chaque candidat d’établir un compte de campagne lorsqu’il a bénéficié de dons de personnes physiques. Cette règle vise à garantir la transparence financière et l’équilibre des dépenses engagées pour obtenir le suffrage des électeurs. Le compte doit être déposé à la Commission nationale des comptes de campagne avant le dixième vendredi suivant le premier tour. L’article L. 52-12 précise que ce document retrace « l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ». Le candidat reste tenu à cette obligation même s’il obtient moins de 1 % des suffrages dès lors qu’il utilise des carnets de reçus. Le respect des délais et des formes constitue une condition essentielle de la régularité du processus électoral démocratique.
B. La présomption de perception de dons par la détention de carnets
La détention de carnets de reçus-dons non restitués crée une présomption juridique de financement privé de la campagne électorale par des tiers. Selon le Conseil constitutionnel, « l’absence de restitution par le candidat des carnets de reçus-dons fait présumer de la perception de dons de personnes physiques ». Cette présomption oblige le candidat à déposer un compte même si ses résultats électoraux sont particulièrement faibles ou insignifiants. En l’espèce, le candidat n’avait pas rendu les documents délivrés à son mandataire par les services de la préfecture compétente. Il se trouvait donc dans l’obligation théorique de soumettre ses finances à l’examen de la commission administrative de contrôle. Le manquement aux règles de financement est ainsi formellement constitué par l’absence de dépôt du compte dans le délai imparti.
II. L’atténuation de la sanction par l’examen des circonstances matérielles
A. La reconnaissance d’une impossibilité matérielle insurmontable
Le juge constitutionnel dispose du pouvoir de moduler la sanction d’inéligibilité en fonction de la gravité réelle du comportement du candidat. L’article L.O. 136-1 prévoit cette mesure uniquement en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité ». En l’espèce, l’instruction a révélé que l’intéressé a été « contraint en juillet 2022 de quitter son domicile » sans pouvoir y accéder. Un conflit familial persistant rendait impossible la récupération des carnets de reçus-dons situés à l’intérieur de sa résidence principale habituelle. Le juge admet que cette situation constitue une entrave matérielle justifiant l’absence de dépôt du compte de campagne requis par la loi. La bonne foi du candidat est ainsi prise en compte pour écarter une sanction qui aurait été disproportionnée.
B. Une solution d’espèce protectrice de l’équité juridique
La décision rendue par le Conseil constitutionnel privilégie une approche concrète des faits au détriment d’une application rigide de la norme. Le juge estime que « dans les circonstances particulières de l’espèce, le manquement commis ne justifie pas » la déclaration d’inéligibilité du candidat. Cette solution confirme que le contentieux électoral n’est pas purement formel mais repose sur une appréciation subjective de la culpabilité. La portée de cet arrêt reste limitée à des situations exceptionnelles où l’indépendance de la volonté du candidat est manifestement altérée. Le Conseil maintient toutefois la rigueur des principes de financement tout en évitant de sanctionner des évènements relevant de la force majeure. Cette jurisprudence assure un équilibre entre la nécessaire transparence des comptes et la protection des droits politiques des citoyens.