Le Conseil constitutionnel a rendu, le 11 mai 2023, une décision importante concernant les obligations comptables pesant sur les candidats aux élections législatives. Le litige porte sur le dépôt tardif d’un compte de campagne par un candidat n’ayant pas respecté les prescriptions temporelles fixées par le Code électoral.
Un candidat aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022 devait déposer son compte de campagne avant le 19 août 2022 à 18 heures. Ce document comptable n’a été transmis à la commission nationale compétente que le 23 août 2022, soit quatre jours après l’expiration du délai légal impératif. Le candidat soutenait que ce retard résultait d’un dysfonctionnement des services postaux ayant entraîné le retour du pli contenant les documents comptables obligatoires à l’expéditeur. Cependant, l’instruction a révélé que l’enveloppe utilisée ne mentionnait pas l’adresse de l’institution destinataire mais celle du candidat, empêchant ainsi la remise effective du dossier.
Saisie par la commission nationale des comptes de campagne, la juridiction constitutionnelle devait déterminer si l’erreur matérielle d’adressage commise par le mandataire justifiait le rejet du compte. Le juge devait également décider si cette méconnaissance des délais de dépôt imposait de prononcer l’inéligibilité du candidat en vertu des dispositions organiques applicables. Le Conseil constitutionnel confirme la validité du rejet du compte de campagne tout en refusant de déclarer le candidat inéligible au regard des circonstances d’espèce.
I. La confirmation du rejet pour dépôt tardif du compte de campagne
A. La force obligatoire du délai de dépôt du compte
Le Code électoral impose à chaque candidat de déposer son compte de campagne au plus tard le dixième vendredi suivant le premier tour du scrutin. Cette règle garantit la transparence du financement électoral ainsi que l’égalité entre les différents compétiteurs engagés dans la consultation politique nationale. En l’espèce, le compte devait être déposé avant le 19 août 2022, mais la commission a constaté un dépôt effectif à la date du 23 août. Le non-respect de cette échéance temporelle constitue une irrégularité objective qui place mécaniquement le candidat en situation de rupture avec ses obligations déclaratives légales.
Le juge constitutionnel rappelle que le compte « doit être déposé à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques au plus tard avant 18 heures ». Cette précision horaire souligne la volonté du législateur de conférer un caractère strictement impératif à cette formalité substantielle de la procédure électorale. La méconnaissance de ce terme entraîne nécessairement le rejet du compte par l’autorité administrative, sans que celle-ci ne dispose d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire.
B. L’imputabilité de l’erreur matérielle d’adressage au candidat
Le candidat tentait de justifier le retard par un envoi initial effectué le 19 août 2022, invoquant un prétendu dysfonctionnement des services de distribution postale. Le Conseil constitutionnel écarte cet argument en soulignant que « l’origine de cette erreur d’adressage est imputable à la personne chargée de l’envoi » des documents. L’enveloppe ne comportait pas les coordonnées de la commission nationale mais celles du candidat, ce qui rendait l’acheminement vers le destinataire légal matériellement impossible.
Cette erreur d’inattention, bien que dépourvue de mauvaise foi apparente, ne saurait constituer un cas de force majeure libérant le candidat de son obligation de diligence. Le mandataire expert-comptable est tenu d’assurer la transmission effective du dossier en vérifiant scrupuleusement les mentions nécessaires à l’identification du service destinataire compétent. Par conséquent, la juridiction affirme que « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte ».
II. L’absence de sanction d’inéligibilité malgré l’irrégularité constatée
A. L’exigence légale d’un manquement d’une particulière gravité
Le rejet du compte de campagne n’entraîne pas automatiquement l’inéligibilité du candidat, le juge disposant d’une marge d’appréciation souveraine selon la lettre du Code. L’article L.O. 136-1 prévoit que cette sanction est prononcée uniquement « en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité » aux règles financières. Le Conseil constitutionnel doit donc rechercher si le retard dans le dépôt présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une mesure d’éviction.
Cette distinction jurisprudentielle permet d’éviter que des erreurs purement matérielles ou des négligences mineures n’entraînent des conséquences disproportionnées sur le libre exercice du droit de suffrage. Le juge écarte ici toute volonté de fraude, car le candidat a manifesté une intention réelle de se conformer à la loi dans les délais. La sanction d’inéligibilité est ainsi réservée aux comportements portant une atteinte substantielle à la sincérité du scrutin ou à la transparence des fonds utilisés.
B. La reconnaissance de la diligence rectificative du candidat
Pour refuser de prononcer l’inéligibilité, le Conseil observe que le candidat a « procédé à un second envoi dès la constatation de l’erreur d’expédition » de son dossier. Cette réaction immédiate intervenue le 23 août 2022 démontre la volonté de l’intéressé de régulariser sa situation administrative sans délai excessif après l’échec du premier envoi. La brièveté du retard et l’absence de dissimulation d’opérations financières conduisent le juge à une certaine mansuétude lors de l’examen de la sanction.
La décision précise que « dans les circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu » de déclarer le candidat inéligible pour les années à venir. Cette solution pragmatique concilie la rigueur nécessaire au contrôle des comptes avec le respect du principe de proportionnalité des peines en matière électorale. Le juge constitutionnel privilégie ainsi une approche concrète des faits pour protéger l’éligibilité des citoyens dont la probité n’est pas sérieusement remise en cause.