Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6183 AN du 16 juin 2023

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 16 juin 2023, une décision importante concernant le contrôle du financement des campagnes électorales lors des élections législatives. Cette décision précise les conditions du rejet d’un compte de campagne et les critères de l’inéligibilité d’un candidat aux fonctions parlementaires. Une candidate aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022 a réglé directement des dépenses électorales après la désignation de son mandataire. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté ce compte le 1er février 2023 avant de saisir le juge constitutionnel. Le Conseil doit déterminer si l’importance relative de ces paiements directs justifie, outre le rejet du compte, le prononcé d’une peine d’inéligibilité personnelle. Le juge confirme le rejet du compte de campagne mais refuse de déclarer l’inéligibilité en l’absence d’une volonté de fraude ou d’une gravité suffisante.

I. La caractérisation du manquement aux règles de financement

A. Le principe de l’interdiction du règlement direct des dépenses

Le droit électoral impose une gestion centralisée des fonds de campagne afin de garantir la transparence et le contrôle effectif des dépenses engagées. Le Conseil constitutionnel rappelle qu’« il appartient au mandataire financier désigné par le candidat de régler les dépenses engagées en vue de l’élection » selon le code électoral. Cette règle interdit en principe tout paiement direct par le candidat, sous peine de rendre opaque l’origine ou l’usage des fonds destinés à la propagande. Seules des dépenses réglées avant la désignation du mandataire financier peuvent être remboursées à la condition de figurer ultérieurement dans le compte de campagne officiel. Le juge admet toutefois que « le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis » sous réserve d’un montant total restant particulièrement limité. Ces exceptions demeurent strictement encadrées pour éviter que le candidat ne se substitue systématiquement à son mandataire financier durant la période de la campagne.

B. L’appréciation souveraine du caractère substantiel des irrégularités

La méconnaissance des obligations comptables entraîne le rejet automatique du compte de campagne dès lors que les sommes en cause représentent une part significative. Dans cette espèce, le juge relève que l’intéressée a réglé personnellement des frais électoraux s’élevant à un montant total de 2 326 euros. Ces dépenses directes représentaient « 72,8 % du montant total des dépenses du compte », ce qui constitue une irrégularité manifeste au regard des principes légaux. Le juge souligne que cette proportion dépasse largement les tolérances admises pour les menues dépenses courantes habituellement acceptées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En conséquence, « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté » le compte de la candidate. Cette décision de rejet n’entraîne cependant pas automatiquement l’inéligibilité de la personne concernée, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation sur la sanction personnelle.

II. L’exclusion de la sanction d’inéligibilité personnelle

A. L’interprétation restrictive des conditions de l’article L.O. 136-1

Le prononcé d’une inéligibilité constitue une sanction grave qui nécessite la réunion de conditions précises relatives à l’intention du candidat ou à la nature du manquement. Le juge de l’élection précise qu’il peut déclarer inéligible le candidat « en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité » aux règles financières. Cette rédaction impose au Conseil constitutionnel de rechercher si l’irrégularité constatée procède d’une intention malveillante ou d’une négligence caractérisée portant atteinte à la sincérité. Dans cette affaire, aucun élément de l’instruction ne permet de caractériser une volonté délibérée de dissimuler des financements ou de dépasser les plafonds légaux. Le manquement, bien que réel et contraire aux textes, doit donc être analysé au regard de son impact global sur l’équilibre financier de la circonscription. L’absence de fraude écarte la sanction la plus sévère, laissant au juge le soin d’évaluer la gravité objective des faits pour statuer définitivement.

B. La proportionnalité de la sanction au regard du plafond légal

Pour apprécier la gravité d’un manquement, le juge constitutionnel confronte le montant des dépenses irrégulières au plafond global autorisé pour la circonscription électorale concernée. Le Conseil observe que les dépenses acquittées directement par la candidate « ne représentent que 3,68 % du plafond des dépenses autorisées » pour ce scrutin législatif particulier. Malgré le « caractère substantiel de l’obligation méconnue », la faiblesse de ce pourcentage par rapport à la limite légale atténue considérablement la portée du manquement. Le juge considère que l’irrégularité n’a pas altéré la sincérité du scrutin ni procuré un avantage injustifié de nature à fausser les résultats électoraux. Il conclut donc qu’il « n’y a pas lieu, en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral, de prononcer l’inéligibilité » de l’intéressée. Cette solution équilibrée permet de sanctionner l’irrégularité comptable sans priver le candidat de ses droits civiques pour une faute dépourvue de gravité excessive.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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