Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6212 AN du 16 juin 2023

Par une décision en date du 15 juin 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences d’un manquement aux règles de financement des campagnes électorales. En l’espèce, un candidat aux élections législatives de juin 2022 dans la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône avait déposé un compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Cette dernière, par une décision du 6 février 2023, a rejeté ledit compte et a saisi le juge constitutionnel. La saisine de la Commission reposait sur le fait que le compte n’était pas accompagné des pièces justificatives requises, empêchant ainsi tout contrôle de la réalité et de la régularité des opérations retracées. Le candidat, informé de la procédure, n’a pas présenté d’observations en défense.

Il revenait donc au juge constitutionnel de déterminer si l’absence de pièces justificatives suffisantes pour attester de la régularité des opérations d’un compte de campagne constituait un manquement d’une particulière gravité justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Par la décision commentée, le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative. Après avoir confirmé le bien-fondé du rejet du compte par la Commission, il déclare le candidat inéligible à tout mandat pour une durée d’un an. Cette décision, qui confirme la rigueur du contrôle opéré sur le financement des campagnes électorales, illustre d’abord la caractérisation d’un manquement grave aux obligations comptables (I), avant de justifier l’application proportionnée de la sanction de l’inéligibilité (II).

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**I. La caractérisation d’un manquement grave aux obligations comptables**

Le Conseil constitutionnel valide la position de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en confirmant que l’absence de pièces probantes équivaut à un défaut de présentation du compte. Cette approche rigoriste se fonde d’abord sur le constat d’un rejet légitime du compte par la Commission (A), puis sur sa confirmation souveraine par le juge électoral (B).

**A. Le rejet du compte fondé sur l’insuffisance des pièces justificatives**

L’article L. 52-12 du code électoral impose aux candidats ayant atteint certains seuils de suffrages ou de dons de déposer un compte de campagne détaillé, retraçant l’ensemble des recettes et des dépenses. Ce document doit être présenté en état d’examen par un expert-comptable, qui s’assure de la présence des pièces justificatives. Cette exigence de justification matérielle est la clef de voûte du contrôle, car elle seule permet de vérifier la sincérité des écritures comptables. En l’occurrence, le Conseil constitutionnel relève que le compte du candidat a été rejeté par la Commission au motif qu’il « n’était accompagné que de pièces disparates et incomplètes ne permettant pas d’attester la réalité et la régularité des opérations réalisées ». Un tel défaut fait obstacle à la mission de contrôle de l’autorité administrative indépendante. En effet, un compte dépourvu de ses justificatifs est une simple déclaration d’intention qui ne prouve rien et rend impossible toute vérification de la légalité des fonds perçus et des dépenses engagées. Le rejet du compte par la Commission était donc inévitable et juridiquement fondé.

**B. La confirmation du manquement par le juge constitutionnel**

Saisi par la Commission, le Conseil constitutionnel ne se contente pas d’entériner automatiquement la décision administrative. Il lui appartient d’apprécier lui-même la nature et la gravité des faits. Or, dans cette affaire, le juge constate que les manquements reprochés au candidat sont parfaitement « établis ». La décision est d’autant plus simple à prendre que l’intéressé, bien qu’informé de la procédure engagée contre lui, a choisi de garder le silence et n’a fourni aucune explication ou pièce complémentaire. Cette absence de contestation ou de justification vient corroborer l’analyse de la Commission. Le Conseil constitutionnel en déduit logiquement que « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne » du candidat. La défaillance du candidat est ainsi doublement consacrée : d’une part sur le plan matériel par l’absence de pièces, d’autre part sur le plan procédural par son silence.

**II. L’application proportionnée de la sanction de l’inéligibilité**

Une fois le manquement qualifié, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur l’opportunité et la mesure d’une sanction. Il rappelle ainsi le fondement légal de l’inéligibilité, qui n’est pas une sanction automatique (A), avant de motiver le choix d’une durée spécifique qui témoigne d’une appréciation au cas par cas (B).

**A. Le fondement légal de la sanction de l’inéligibilité**

Le prononcé d’une peine d’inéligibilité est une prérogative du juge constitutionnel, encadrée par l’article L.O. 136-1 du code électoral. Ce texte dispose que le Conseil « peut » déclarer un candidat inéligible, ce qui lui confère un pouvoir d’appréciation. La sanction n’est encourue qu’en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ». Le simple rejet d’un compte n’entraîne donc pas nécessairement l’inéligibilité. Le juge doit évaluer si la faute commise franchit un certain seuil de gravité. En l’espèce, le fait de ne pas fournir les pièces justificatives n’est pas une simple négligence formelle, mais une atteinte substantielle à l’une des obligations essentielles du processus électoral : la transparence financière. Ce manquement empêche la vérification du respect du plafond des dépenses et de l’origine des fonds, garanties fondamentales de l’égalité entre les candidats et de la sincérité du scrutin. Il revêt par conséquent le caractère de « particulière gravité » exigé par la loi organique.

**B. La justification d’une sanction d’un an**

Le Conseil constitutionnel ne se borne pas à prononcer l’inéligibilité, il en fixe la durée à un an. Cette modulation de la peine, qui peut aller jusqu’à trois ans, démontre que le juge procède à une appréciation *in concreto* de la situation. Une durée d’un an peut apparaître comme une sanction mesurée. Elle signale la gravité de la faute sans pour autant la placer au niveau d’une fraude avérée ou d’un dépassement massif du plafond des dépenses, qui auraient pu justifier une sanction plus longue. En l’absence de toute coopération du candidat, le juge a pu considérer que le manquement, bien que grave, ne révélait pas une intention frauduleuse complexe, mais plutôt une méconnaissance profonde ou un désintérêt total pour des règles démocratiques fondamentales. La sanction a donc une double portée : elle punit le candidat défaillant pour son manquement avéré tout en adressant un avertissement pédagogique à tous les futurs candidats sur l’impératif de rigueur dans la tenue de leurs comptes de campagne. La décision réaffirme ainsi que la transparence financière n’est pas une option, mais une condition non négociable de la participation à la vie démocratique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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