Le Conseil constitutionnel a rendu, le 30 juin 2023, une décision importante relative au contentieux des élections législatives organisées les 12 et 19 juin 2022. Cette affaire soulève la question du respect des prescriptions impératives encadrant le financement des campagnes électorales pour les candidats à la députation nationale.
Une candidate s’est présentée dans la première circonscription des Yvelines lors du scrutin législatif de l’année deux mille vingt-deux. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne par une décision du 19 janvier 2023. Le rejet se fondait sur l’absence de versement de dons sur le compte unique du mandataire et sur le règlement direct de dépenses substantielles.
La Commission a saisi le Conseil constitutionnel le 15 février 2023 afin qu’il statue sur l’éventuelle inéligibilité de la candidate. Cette dernière n’a produit aucune observation devant le juge électoral malgré la communication de la saisine effectuée par le secrétariat général du Conseil. La candidate contestait implicitement la décision administrative en maintenant l’absence de fraude délibérée dans la gestion de ses fonds de campagne.
Le juge constitutionnel doit déterminer si le défaut de recours systématique au mandataire financier constitue un manquement d’une particulière gravité justifiant une sanction d’inéligibilité. Il convient alors d’examiner la validité du rejet du compte avant d’apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée contre la requérante.
I. La rigueur des règles de financement électoral
A. L’obligation d’intermédiation du mandataire financier
Le code électoral impose au candidat de désigner un mandataire financier unique chargé de recueillir les fonds et de régler les dépenses électorales. Cette obligation garantit la transparence financière en centralisant l’ensemble des flux pécuniaires sur un « compte de dépôt unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». L’intermédiation obligatoire permet ainsi un contrôle efficace de l’origine des recettes et de la réalité des dépenses engagées pour le scrutin.
Dans cette espèce, il est établi que des dons d’un montant de 1 575 euros « n’avaient pas été versés sur le compte bancaire unique du mandataire financier ». Ce manquement direct aux dispositions de l’article L. 52-6 du code électoral prive le juge et la commission de la traçabilité nécessaire des fonds. Le respect de cette formalité substantielle conditionne la probité de l’élection et la sincérité du compte de campagne soumis au contrôle.
B. Le contrôle strict du caractère substantiel des dépenses directes
Le règlement direct de menues dépenses par le candidat est admis seulement si leur montant est faible et négligeable au regard du plafond autorisé. La jurisprudence exige que ces paiements directs restent exceptionnels et n’altèrent pas la mission de contrôle dévolue au mandataire financier désigné par le candidat. L’instruction a révélé que les dépenses réglées directement par la candidate s’élevaient à 2 214 euros après la désignation effective de son mandataire.
Ces sommes représentent « 81 % du montant total de ses dépenses » bien qu’elles ne constituent que 3 % du plafond global des dépenses autorisées. Le caractère substantiel de ces paiements directs est caractérisé par leur proportion écrasante dans l’économie générale du compte de la candidate. Cette méconnaissance des règles comptables justifie pleinement le rejet du compte dès lors que la majorité des flux financiers a échappé au mandataire.
II. La sanction proportionnée de manquements graves
A. La confirmation du rejet du compte de campagne
Le Conseil constitutionnel valide la décision de la Commission nationale des comptes de campagne en constatant l’existence de plusieurs manquements sérieux et concordants. En plus des irrégularités bancaires, une part importante des dépenses n’était « pas assortie de pièces justificatives complètes » lors du dépôt du dossier financier. Le cumul de ces carences administratives rend impossible la validation du compte par l’organe de contrôle indépendant chargé de vérifier la régularité électorale.
Le juge souligne que l’article L. 52-12 oblige le dépôt de factures et devis de nature à établir la réalité des montants payés. L’absence de tels documents empêche toute vérification sérieuse de la nature des prestations dont la candidate a bénéficié pour sa communication politique. Par conséquent, la décision du 19 janvier 2023 était juridiquement fondée au regard des multiples violations des principes fondamentaux du droit électoral.
B. Le prononcé d’une inéligibilité triennale
L’article L.O. 136-1 prévoit que le juge peut déclarer inéligible le candidat en cas de « manquement d’une particulière gravité aux règles de financement ». Le Conseil constitutionnel apprécie souverainement cette gravité en tenant compte de l’importance des sommes détournées du circuit légal et de la volonté du candidat. Le taux de 81 % de dépenses directes traduit ici une méconnaissance totale et persistante des mécanismes de financement prévus par le législateur.
Le juge décide de prononcer l’inéligibilité de la candidate à tout mandat pour une durée de trois ans à compter de sa décision. Cette sanction rigoureuse vise à protéger l’ordre public électoral contre des pratiques susceptibles de fausser l’égalité entre les différents candidats au scrutin. La durée de la peine reflète la sévérité du Conseil face à des manquements qui touchent au cœur même de la transparence démocratique.