Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6226 AN du 12 mai 2023

Par une décision en date du 12 mai 2023, le Conseil Constitutionnel a été amené à se prononcer sur les conséquences du dépôt tardif d’un compte de campagne par un candidat à une élection législative. En l’espèce, un candidat aux élections législatives de juin 2022 avait obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés, le soumettant à l’obligation de déposer un compte de campagne détaillé auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Le délai légal pour cette formalité expirait le 19 août 2022 à 18 heures, mais le candidat n’a déposé son compte que le lendemain, soit le 20 août 2022. Saisi par la Commission, le Conseil constitutionnel a été chargé d’apprécier la situation au regard des dispositions du code électoral. Le candidat a, pour sa part, présenté des observations en défense.

Il revenait ainsi au juge électoral de déterminer si un retard de vingt-quatre heures dans le dépôt du compte de campagne suffisait à caractériser un « manquement d’une particulière gravité » au sens de l’article L.O. 136-1 du code électoral, justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité.

À cette question, le Conseil Constitutionnel répond par l’affirmative en déclarant le candidat inéligible à tout mandat pour une durée d’un an. Le juge estime en effet qu’il ne « résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». En l’absence de telles justifications, la tardiveté du dépôt, même brève, constitue un manquement suffisamment grave pour entraîner une sanction. Cette décision témoigne d’une interprétation stricte des obligations de transparence financière pesant sur les candidats (I), réaffirmant ainsi la portée exemplaire et dissuasive des sanctions électorales (II).

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I. Une application rigoureuse des obligations de financement politique

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une appréciation stricte des formalités imposées par le code électoral, considérant le respect du délai de dépôt comme une condition impérative (A), dont la seule méconnaissance suffit à constituer un manquement grave (B).

A. Le caractère impératif du délai de dépôt du compte

La décision rappelle le cadre juridique défini par l’article L. 52-12 du code électoral, qui impose à tout candidat ayant atteint 1 % des suffrages de produire un compte de campagne. Cette obligation est assortie d’un délai de dépôt préfix, fixé au dixième vendredi suivant le premier tour, soit en l’espèce le 19 août 2022 à 18 heures. Le Conseil constitutionnel, par sa décision, confère à cette échéance un caractère absolu. Le simple constat matériel du dépôt après l’heure et la date limites suffit à établir une infraction aux règles de financement.

Le juge ne s’engage pas dans une analyse de la matérialité du retard, qui n’est pourtant que de quelques heures. La brièveté de ce dépassement est jugée inopérante pour exonérer le candidat de sa responsabilité. Cette approche formaliste souligne que l’obligation de ponctualité est une composante essentielle de la transparence financière. Elle garantit l’égalité entre les candidats et permet à l’organe de contrôle d’exercer sa mission dans des conditions sereines et équitables. En refusant de moduler la règle en fonction de la durée du retard, le Conseil constitutionnel réaffirme que les règles de procédure électorale ne sont pas de simples indications, mais bien des prescriptions dont le non-respect emporte des conséquences juridiques automatiques.

B. La qualification du manquement d’une particulière gravité

La seconde étape du raisonnement du juge consiste à qualifier ce manquement. L’article L.O. 136-1 du code électoral permet de prononcer l’inéligibilité en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité ». En l’espèce, la fraude n’est pas invoquée ; c’est donc la gravité du manquement qui est retenue. Le Conseil constitutionnel opère ici un renversement de la charge de la preuve. Il ne cherche pas à démontrer en quoi le retard est intrinsèquement grave, mais se contente de constater l’absence de justification par le candidat.

La formule, devenue classique, selon laquelle « il ne résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations » est déterminante. Elle signifie que tout manquement est présumé grave, sauf si le candidat rapporte la preuve d’un événement exceptionnel, imprévisible et insurmontable, constitutif d’une forme de force majeure, qui l’aurait empêché de respecter ses obligations. Le silence sur la nature des observations du candidat laisse penser qu’aucun argument n’a été jugé recevable. Ainsi, le simple fait de déposer un compte en retard, sans pouvoir invoquer une excuse légitime, suffit à faire basculer le manquement dans la catégorie de la « particulière gravité ».

En qualifiant ainsi le simple non-respect d’un délai de manquement grave, le Conseil Constitutionnel confère à sa décision une portée qui dépasse la seule situation d’espèce.

II. Une sanction à la portée préventive et exemplaire

En prononçant une peine d’inéligibilité d’un an, le Conseil constitutionnel adresse un message clair sur l’importance du respect des règles électorales. La sévérité de la sanction au regard de la faute (A) vise à renforcer la portée dissuasive du droit du financement politique (B).

A. Une sanction d’une sévérité notable

La peine d’inéligibilité pour une durée d’un an peut apparaître sévère au regard d’un retard de seulement vingt-quatre heures. Le compte de campagne a bien été déposé, et rien dans la décision ne suggère qu’il présentait des irrégularités de fond. La sanction n’est donc pas proportionnée à l’éventuel préjudice financier ou à une tentative de dissimulation, mais bien à la seule violation de la procédure. Cette rigueur s’explique par la nature même du contentieux du financement politique, qui vise à assurer la sincérité du débat démocratique.

Le juge constitutionnel considère que la transparence des comptes n’est pas une fin en soi, mais un moyen de garantir la confiance des citoyens dans le processus électoral. Dans cette optique, toute entorse aux règles, même formelle, est perçue comme une atteinte à l’intégrité de l’élection. La sanction n’a donc pas pour but de punir une fraude avérée, mais de sanctionner un comportement qui, par sa négligence, fragilise l’édifice de la démocratie représentative. L’inéligibilité, bien que temporaire, constitue la peine la plus lourde pour un élu ou un candidat, et son application pour un simple retard témoigne d’une absence de tolérance.

B. Une portée dissuasive pour l’intégrité du processus électoral

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel visant à moraliser la vie politique. Au-delà du cas d’espèce, elle a une fonction pédagogique et préventive. Elle envoie un signal fort à tous les futurs candidats : aucune négligence dans la gestion des comptes de campagne ne sera tolérée. Le respect scrupuleux des délais et des formes est une condition non négociable de la participation à la compétition électorale.

En adoptant une ligne aussi stricte, le juge électoral cherche à prévenir les manquements en amont, en incitant les candidats et leurs équipes à une vigilance maximale. Cette jurisprudence renforce l’autorité de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et la crédibilité de l’ensemble du système de contrôle. La solution retenue confirme que l’objectif n’est pas seulement de réparer, mais aussi et surtout de dissuader. Elle contribue à ancrer dans les pratiques politiques une culture de la rigueur et de la transparence, jugée indispensable à la préservation du lien de confiance entre les électeurs et leurs représentants.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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