Par une décision en date du 22 juin 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du dépôt tardif d’un compte de campagne par une candidate à une élection législative. En l’espèce, une candidate ayant obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés lors du scrutin des 12 et 19 juin 2022 était tenue, en application de l’article L. 52-12 du code électoral, de déposer un compte de campagne avant le 19 août 2022 à 18 heures. Or, ce dépôt n’a été effectué que le 5 octobre 2022, soit postérieurement à l’expiration du délai légal.
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, constatant ce retard, a saisi le Conseil constitutionnel le 16 février 2023. Informée de cette saisine, la candidate n’a produit aucune observation en défense. Il revenait ainsi au juge de l’élection de déterminer si le manquement à l’obligation de dépôt du compte de campagne dans le délai légal, en l’absence de toute justification, était constitutif d’une irrégularité suffisamment grave pour justifier le prononcé d’une sanction d’inéligibilité.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le manquement était établi et a prononcé une sanction. Il retient en effet qu’« il ne résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». En conséquence, le juge a déclaré la candidate inéligible à tout mandat pour une durée d’un an. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge électoral apprécie le respect des obligations de transparence financière (I), tout en faisant une application mesurée de la sanction de l’inéligibilité (II).
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I. La caractérisation d’un manquement objectif aux règles de financement électoral
Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur la simple constatation d’un manquement formel à une obligation légale (A), dont la gravité est accentuée par l’absence de toute justification de la part de l’intéressée (B).
A. Le non-respect d’un délai impératif et substantiel
La décision rappelle que l’obligation de déposer un compte de campagne est une exigence fondamentale du droit électoral français. Cette formalité, prévue par l’article L. 52-12 du code électoral, vise à garantir la transparence et la sincérité des financements politiques, assurant ainsi l’égalité entre les candidats et l’information des électeurs. Le respect du délai de dépôt, fixé au dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, n’est pas une simple contrainte procédurale mais une condition substantielle de la régularité de la campagne.
En l’espèce, le juge se borne à constater de manière factuelle que le compte a été déposé le 5 octobre 2022, bien après la date butoir du 19 août 2022. Le manquement est donc matériellement constitué par ce seul fait. Le raisonnement du Conseil constitutionnel ne s’attache pas à la recherche d’une intention frauduleuse, mais à la simple violation d’une règle claire et préétablie. Cette approche confirme la nature objective de l’infraction, où le non-respect de la norme suffit à caractériser l’irrégularité, indépendamment de la bonne ou mauvaise foi du candidat. La rigueur de cette position s’explique par l’importance des principes que la législation sur les comptes de campagne entend protéger.
B. L’absence de circonstances particulières exonératoires
Le Conseil constitutionnel relève ensuite un élément déterminant dans son appréciation de la situation. La candidate, bien qu’ayant eu la possibilité de se défendre, « n’a pas produit d’observations ». Cette absence de justification face au manquement constaté ne permet pas au juge d’identifier d’éventuelles « circonstances particulières » qui auraient pu excuser ou atténuer la portée du retard. La jurisprudence admet en effet que des événements imprévisibles et insurmontables, constitutifs d’une force majeure, pourraient justifier une dérogation à la stricte application de la loi.
Cependant, la charge de la preuve de telles circonstances pèse entièrement sur le candidat. En gardant le silence, l’intéressée s’est privée de la possibilité de faire valoir une quelconque difficulté, qu’elle soit d’ordre personnel, matériel ou administratif. Pour le juge, cette absence de défense équivaut à une absence de justification. Le manquement n’est donc pas seulement un fait matériel, il devient une faute non excusée. C’est cette combinaison entre la violation objective de la loi et l’absence de tout élément d’explication qui conduit le Conseil constitutionnel à considérer que l’irrégularité est suffisamment caractérisée pour justifier l’examen d’une sanction.
II. Le prononcé d’une sanction d’inéligibilité mesurée
Après avoir qualifié le manquement, le Conseil constitutionnel fait usage de son pouvoir d’appréciation pour sanctionner la candidate (A), tout en modulant la peine, ce qui confère à sa décision une portée à la fois répressive et pédagogique (B).
A. L’exercice d’un pouvoir d’appréciation du juge électoral
Conformément à l’article L.O. 136-1 du code électoral, le Conseil constitutionnel « peut » déclarer inéligible un candidat en cas de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement. L’emploi du verbe « pouvoir » indique que le juge dispose d’une marge d’appréciation. Il n’est pas tenu de prononcer automatiquement une inéligibilité pour toute irrégularité. Il doit évaluer la gravité du manquement au regard des circonstances de l’espèce pour décider s’il y a lieu de sanctionner.
Dans la présente affaire, le Conseil considère que le dépôt du compte avec un retard de plus de quarante-cinq jours, combiné à l’absence totale de justification, constitue bien un « manquement d’une particulière gravité ». La décision de prononcer l’inéligibilité n’est donc pas une simple application mécanique de la loi, mais le résultat d’une appréciation souveraine du juge. Ce dernier estime que la négligence de la candidate porte une atteinte substantielle aux exigences de transparence démocratique. La sanction vise ainsi à réprimer un comportement qui, s’il était toléré, viderait de sa substance l’un des piliers du contrôle du financement de la vie politique.
B. La portée pédagogique d’une peine proportionnée
En fixant la durée de l’inéligibilité à un an, le Conseil constitutionnel fait preuve de modération. La loi lui permettrait de prononcer une inéligibilité pour une durée pouvant aller jusqu’à trois ans. Le choix d’une sanction d’un an seulement témoigne d’une volonté de proportionner la peine à la nature du manquement. Il ne s’agit pas d’une fraude avérée ni d’un dépassement du plafond des dépenses, mais d’une grave négligence administrative. La peine est donc significative, mais elle n’est pas la plus sévère.
Cette décision, bien que rendue dans un cas d’espèce, revêt une portée pédagogique indéniable. Elle sert de rappel à l’ensemble des candidats quant à la rigueur des obligations qui leur incombent en matière de comptes de campagne. Elle confirme une jurisprudence constante qui sanctionne fermement le non-respect des délais, tout en montrant que le juge module sa réponse en fonction des spécificités de chaque dossier. La solution retenue réaffirme ainsi l’autorité de la loi électorale et l’importance de la discipline financière, sans pour autant appliquer une répression excessive ou disproportionnée.