Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6260 AN du 30 juin 2023

Par une décision en date du 30 juin 2023, le Conseil constitutionnel, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, s’est prononcé sur la sanction applicable à un candidat aux élections législatives n’ayant pas respecté les obligations relatives à la tenue de son compte de campagne.

En l’espèce, un candidat aux élections législatives qui se sont tenues en juin 2022 dans la 5e circonscription du département de l’Indre-et-Loire n’a pas respecté les formalités de financement électoral. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a constaté que le mandataire financier désigné par le candidat n’avait pas ouvert de compte bancaire ou postal unique destiné à retracer l’ensemble des opérations financières, comme l’exige le code électoral. Par une décision du 1er février 2023, la commission a par conséquent rejeté le compte de campagne de l’intéressé et a saisi le Conseil constitutionnel afin que ce dernier se prononce sur une éventuelle inéligibilité. Le candidat, dûment informé de la procédure, n’a pas présenté d’observations.

Il appartenait ainsi au juge de l’élection de déterminer si l’absence d’ouverture d’un compte bancaire unique par le mandataire financier constituait un manquement d’une particulière gravité justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative, jugeant que ce manquement justifie de « prononcer l’inéligibilité de M. MARTINEZ à tout mandat pour une durée d’un an ». Cette décision confirme la rigueur du contrôle exercé sur le financement des campagnes électorales (I), tout en soulignant le pouvoir d’appréciation dont dispose le juge dans la caractérisation et la sanction de la faute (II).

I. L’inéligibilité, sanction d’un manquement formel aux règles de financement électoral

Le Conseil constitutionnel confirme la logique du code électoral qui fait du rejet du compte de campagne un préalable nécessaire à la sanction de l’inéligibilité. Il rappelle d’abord la nature de l’obligation méconnue, qui est une règle fondamentale de transparence (A), avant de valider la conséquence quasi automatique qu’en tire la commission des comptes de campagne (B).

A. La consécration d’une obligation substantielle : l’unicité du compte de campagne

La décision commentée s’appuie sur une lecture stricte de l’article L. 52-6 du code électoral, lequel impose au mandataire financier l’ouverture d’un « compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». En apparence formelle, cette exigence constitue en réalité la pierre angulaire du dispositif de contrôle du financement politique. L’unicité du compte garantit la traçabilité des flux financiers, permettant à la commission de vérifier l’origine des recettes et la nature des dépenses. Elle vise à prévenir les financements occultes et à assurer l’égalité des chances entre les candidats.

Le Conseil constitutionnel, en visant spécifiquement cette disposition, ne traite donc pas la défaillance du candidat comme une simple négligence administrative. Il la considère comme une atteinte directe aux principes de transparence et de sincérité qui régissent les campagnes électorales. L’absence de ce compte unique rend matériellement impossible tout contrôle effectif des opérations financières, créant une opacité que le législateur a précisément voulu prohiber. La faute, bien que procédurale, porte ainsi sur un élément substantiel du droit électoral.

B. Le rejet automatique du compte comme préalable à la saisine du juge

Face à cette irrégularité, la position de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques était clairement définie par les textes. Le Conseil constitutionnel prend soin de relever que le compte du candidat a été rejeté « au motif que le mandataire financier qu’il avait désigné n’a pas ouvert de compte bancaire ». Il valide ensuite explicitement la démarche de la commission, affirmant que « cette circonstance est établie » et que, par conséquent, « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ».

Cette validation n’est pas une simple formalité. Elle confirme que l’absence d’un compte bancaire unique constitue une irrégularité substantielle qui impose le rejet du compte, sans que la commission n’ait à rechercher une intention frauduleuse à ce stade. La procédure est ainsi clairement établie en deux temps : d’abord, un contrôle objectif de la régularité formelle du compte par la commission ; ensuite, une appréciation de la gravité du manquement par le juge de l’élection, saisi en cas de rejet. Le Conseil constitutionnel se positionne ici comme le garant du respect de cette procédure.

Une fois le rejet du compte de campagne formellement validé, il revenait au Conseil constitutionnel de statuer sur la sanction personnelle à infliger au candidat, révélant par là même la portée de son office.

II. La portée mesurée de la sanction prononcée par le juge de l’élection

La décision ne se limite pas à un constat technique ; elle procède à une appréciation de la gravité de la faute pour en déduire une sanction personnelle (A). Le choix de la durée de l’inéligibilité témoigne par ailleurs d’un exercice de proportionnalité (B).

A. L’appréciation souveraine de la gravité du manquement par le Conseil constitutionnel

Le rejet du compte de campagne par la commission n’entraîne pas automatiquement une déclaration d’inéligibilité. L’article L.O. 136-1 du code électoral, que le Conseil constitutionnel prend soin de citer, lui confère le pouvoir de prononcer une telle sanction uniquement en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité ». C’est donc au juge qu’il appartient de qualifier la faute commise par le candidat. En l’espèce, le Conseil ne retient pas la volonté de fraude, le candidat n’ayant d’ailleurs pas produit d’observations qui auraient pu éclairer ses intentions.

Cependant, il estime que le défaut d’ouverture d’un compte bancaire unique constitue en soi un « manquement d’une particulière gravité ». Cette qualification n’est pas évidente et relève de l’appréciation souveraine des juges. En agissant ainsi, le Conseil constitutionnel envoie un signal clair : le respect des obligations comptables n’est pas une option, et leur violation flagrante suffit à caractériser une faute grave, indépendamment de toute intention frauduleuse démontrée. La gravité ne réside pas dans l’intention mais dans la conséquence, à savoir l’impossibilité matérielle de tout contrôle.

B. Une sanction modulée, expression d’un contrôle de proportionnalité

Après avoir qualifié la faute, le Conseil constitutionnel devait en fixer la sanction. L’article L.O. 136-1 du code électoral prévoit une peine d’inéligibilité qui peut aller jusqu’à trois ans. Dans la présente affaire, le Conseil fait le choix de prononcer une inéligibilité « pour une durée d’un an ». Ce choix démontre que la sanction n’est pas automatique dans son quantum et qu’elle fait l’objet d’une modulation.

Cette modulation s’apparente à un contrôle de proportionnalité. En fixant la peine à un an, soit le tiers de la peine maximale encourue, le Conseil tient vraisemblablement compte des circonstances de l’espèce. L’absence de fraude avérée, le montant vraisemblablement modeste des sommes engagées, ou encore le score obtenu par le candidat sont autant d’éléments qui ont pu influencer sa décision. Cette décision d’espèce réaffirme ainsi un principe essentiel : la sanction doit être adaptée à la gravité concrète du comportement, faisant du juge de l’élection non pas un automate, mais un régulateur qui pèse la nécessité de la sanction et son étendue.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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