Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6269 AN du 27 octobre 2023

Par une décision en date du 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une requête visant à l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées dans la 8e circonscription des Français établis hors de France. La requérante, une candidate non élue, alléguait plusieurs irrégularités qui auraient, selon elle, entaché la sincérité du scrutin et violé le principe d’égalité entre les candidats. Ces griefs portaient notamment sur des actes de propagande supposément illicites, des dysfonctionnements dans le système de vote par voie électronique et des difficultés d’accès aux bureaux de vote pour certains électeurs. La procédure s’est déroulée directement devant le Conseil constitutionnel, juge de l’élection législative, opposant la candidate requérante au député proclamé élu, lequel a présenté un mémoire en défense. Le Conseil était ainsi conduit à déterminer si les irrégularités et manœuvres alléguées, à les supposer établies, étaient d’une nature et d’une ampleur suffisantes pour avoir altéré la sincérité du scrutin et effectivement modifié l’issue du vote. En réponse, le Conseil constitutionnel a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par la requérante, considérant qu’aucun d’entre eux ne justifiait l’annulation de l’élection.

La décision du Conseil constitutionnel s’articule autour d’un rejet méthodique des griefs soulevés, qu’ils concernent la campagne ou les opérations de vote (I), confirmant par cette analyse une conception pragmatique et bien établie du contentieux électoral (II).

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I. Le rejet différencié des griefs relatifs à la campagne et au vote

Le juge de l’élection a procédé à un examen successif des différents arguments de la requérante, distinguant les faits relatifs à la propagande et à l’égalité des candidats (A) de ceux touchant aux opérations de vote elles-mêmes (B).

A. Le contrôle restreint des actes de propagande et du principe d’égalité

La requérante soutenait en premier lieu qu’une publication du candidat élu en compagnie d’un chef de gouvernement étranger constituait une aide prohibée par le code électoral. Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief en jugeant que la diffusion d’une photographie « ne constitue pas, contrairement à ce que soutient Mme LERER, une contribution ou aide matérielle prohibée d’un État étranger ». Par cette interprétation stricte de l’article L. 52-8 du code électoral, le juge refuse d’assimiler un soutien politique, même visible, à une aide matérielle ou financière quantifiable, lesquelles sont seules visées par l’interdiction.

En second lieu, le Conseil a également rejeté l’argument tiré d’une rupture d’égalité qui aurait résulté de la notoriété accrue de certains candidats ayant déjà participé à un scrutin précédent. Il a considéré qu’une telle situation, « à la supposer établie, n’est le résultat d’aucune manœuvre et n’est pas constitutive d’une rupture d’égalité entre les candidats ayant altéré la sincérité du scrutin ». Cette position démontre que seule une inégalité procédant d’une action délibérée ou d’une défaillance de l’organisation peut être sanctionnée, et non un avantage factuel dont un candidat peut bénéficier du fait de son parcours.

B. L’appréciation concrète des dysfonctionnements techniques et matériels du scrutin

Après avoir écarté les critiques visant la phase pré-électorale, le Conseil s’est attaché à vérifier la régularité des opérations de vote. Face à l’allégation selon laquelle des tiers auraient voté à la place d’électeurs, le juge a simplement constaté qu’« il ne résulte toutefois pas de l’instruction que de tels agissements auraient été commis », se fondant sur une pure appréciation des faits et de l’absence de preuves.

Plus significatif est le traitement d’un dysfonctionnement avéré concernant le vote électronique. La requérante faisait valoir qu’une large proportion des mots de passe nécessaires au vote n’avait pas été acheminée aux électeurs de certaines zones. Le Conseil, tout en qualifiant le fait de « regrettable », a conclu qu’il « n’a pas été de nature, compte tenu de l’écart de 1 193 voix entre les deux candidats au second tour de scrutin, à affecter le résultat de l’élection ». De même, les difficultés de circulation ayant empêché un très petit nombre d’électeurs d’accéder à un bureau de vote n’ont pas été jugées suffisantes pour altérer le scrutin au regard de l’écart des voix. Cette approche illustre la méthode constante du juge électoral.

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II. La confirmation d’une approche pragmatique du contentieux électoral

Au-delà du traitement spécifique de chaque argument, la décision révèle la permanence d’une jurisprudence électorale réaliste (A), dont la portée demeure importante pour l’organisation et la contestation des scrutins se déroulant à l’étranger (B).

A. La primauté de l’influence déterminante de l’irrégularité

La motivation de la décision repose entièrement sur un principe directeur du contentieux électoral : une irrégularité, même avérée, n’entraîne l’annulation du scrutin que si elle a pu avoir une influence déterminante sur son résultat. L’analyse du dysfonctionnement relatif à l’envoi des mots de passe en est la parfaite illustration. Le Conseil constitutionnel ne nie pas la défaillance technique, mais il la met immédiatement en balance avec l’écart de voix constaté entre les candidats.

Cette méthode conduit le juge à se livrer à un calcul d’influence, écartant toute annulation pour des motifs de pur principe. Il ne sanctionne pas l’imperfection en soi, mais seulement celle qui a eu pour effet de fausser l’expression de la volonté des électeurs de manière décisive. Par conséquent, cette approche impose au requérant une charge probatoire très lourde, puisqu’il doit non seulement établir l’existence d’une irrégularité, mais aussi démontrer son incidence concrète sur l’issue du vote, ce qui s’avère souvent difficile en pratique.

B. La portée de la décision quant à la sincérité du vote et ses modalités d’organisation

En appliquant avec constance sa doctrine, le Conseil constitutionnel définit les contours de la notion de « sincérité du scrutin ». Celle-ci n’exige pas une perfection absolue dans l’organisation des opérations électorales mais suppose l’absence de fraudes ou de dysfonctionnements d’une ampleur telle qu’ils auraient privé le résultat de sa signification. La décision met en lumière les défis spécifiques posés par le vote des Français établis hors de France, notamment la fiabilité des moyens de communication électroniques et les contraintes géopolitiques locales.

Bien que la requête soit rejetée, la mention d’un dysfonctionnement « regrettable » par le juge agit comme un avertissement adressé à l’administration, l’incitant à améliorer la fiabilité des procédures pour les scrutins futurs. La décision a donc une double portée : elle stabilise le résultat de l’élection en refusant de céder à un formalisme excessif, tout en contribuant, par ses remarques incidentes, à l’amélioration continue du processus démocratique dans des contextes complexes. Elle confirme ainsi que le juge de l’élection est moins un gardien de la légalité formelle qu’un régulateur pragmatique de la compétition politique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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