Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-859 DC du 21 décembre 2023

Par une décision en date du 21 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi instaurant une obligation de déclaration individuelle de participation à un mouvement de grève pour certains agents des services de la navigation aérienne. Saisi par des députés à la suite de l’adoption du texte par le Parlement, le Conseil a examiné la conformité de ces dispositions au regard de plusieurs droits et libertés fondamentaux. Les faits à l’origine de cette saisine ne concernent pas un litige particulier mais la procédure d’élaboration de la loi elle-même, qui visait à modifier le code général de la fonction publique. La procédure a donc consisté en un contrôle a priori, tel que prévu par l’article 61 de la Constitution. Les auteurs de la saisine soutenaient que le nouveau dispositif portait une atteinte disproportionnée au droit de grève, garanti par le septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Ils estimaient également que l’absence de précision sur la durée de conservation des données collectées méconnaissait le droit au respect de la vie privée. Le problème de droit soumis au Conseil constitutionnel était donc de déterminer si l’instauration d’une obligation de déclaration individuelle d’intention de faire grève, quarante-huit heures à l’avance pour une catégorie spécifique d’agents publics, constituait une conciliation équilibrée entre le droit de grève, d’une part, et la continuité du service public ainsi que la sauvegarde de l’ordre public, d’autre part. À cette question, le Conseil constitutionnel a répondu par l’affirmative, en jugeant le mécanisme conforme à la Constitution. Il a considéré que les limitations apportées à l’exercice du droit de grève n’étaient pas excessives au regard des objectifs poursuivis et que les garanties relatives à la protection des données personnelles étaient suffisantes.

La décision du Conseil constitutionnel entérine ainsi un encadrement plus strict de l’exercice du droit de grève dans un secteur stratégique (I), tout en veillant à l’application des garanties légales existantes en matière de protection des données personnelles (II).

I. La validation d’un encadrement renforcé du droit de grève des contrôleurs aériens

Le Conseil constitutionnel justifie l’atteinte portée au droit de grève en la fondant sur la poursuite de plusieurs objectifs constitutionnels (A), avant de procéder à une analyse de la proportionnalité de la mesure (B).

A. La justification de l’obligation de déclaration par des objectifs de valeur constitutionnelle

Le Conseil rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Il reconnaît au législateur la compétence pour opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels et la sauvegarde de l’intérêt général. Dans le cas des services publics, cette conciliation doit intégrer le principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public. La décision souligne que le législateur, par les dispositions contestées, a entendu « améliorer l’organisation des services de la navigation aérienne en cas de cessation concertée du travail ». L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité du service, mais également de garantir « le bon ordre et la sécurité des personnes dans les aérodromes ». En agissant ainsi, le législateur poursuit donc un « objectif de valeur constitutionnelle de préservation de l’ordre public », ce qui confère une légitimité renforcée à son intervention.

B. Le contrôle d’une atteinte jugée proportionnée au droit de grève

Le Conseil examine ensuite si les modalités concrètes de l’obligation de déclaration ne sont pas excessives. Il relève d’abord que cette obligation ne vise qu’une catégorie restreinte d’agents, à savoir ceux « assurant des fonctions de contrôle, d’information et d’alerte et dont l’absence est de nature à affecter directement les vols ». Le dispositif est donc ciblé sur les personnels indispensables au maintien d’un trafic aérien minimal. Ensuite, le juge constitutionnel estime que le délai de déclaration, fixé « au plus tard à midi l’avant-veille de chaque journée de grève », laisse un temps suffisant aux agents pour se déterminer, compte tenu du préavis de grève de cinq jours déjà imposé aux organisations syndicales. Enfin, la décision précise la nature des sanctions encourues, qui ne répriment que le manquement à l’obligation déclarative et non l’exercice du droit de grève lui-même. Cette distinction est essentielle, car elle signifie que « la méconnaissance de ces formalités ne confère pas à l’exercice du droit de grève un caractère illicite ». Ces éléments conduisent le Conseil à écarter le grief, jugeant les aménagements apportés non disproportionnés.

Au-delà de la question principale relative au droit de grève, la saisine soulevait également des interrogations quant au traitement des informations recueillies, auxquelles le Conseil répond par une réaffirmation des principes du droit des données personnelles.

II. La garantie du respect de la vie privée par le renvoi au droit commun

Le Conseil constitutionnel constate que l’utilisation des données collectées est strictement encadrée par la loi elle-même (A), et que pour le surplus, les garanties générales en matière de protection des données trouvent à s’appliquer (B).

A. Un usage des données personnelles strictement cantonné par la loi

Face au grief tiré d’une méconnaissance du droit au respect de la vie privée, le Conseil analyse précisément les dispositions de la loi déférée. Il observe que le texte limite expressément l’utilisation des informations issues des déclarations individuelles. Celles-ci « ne peuvent être utilisées que pour l’organisation de l’activité des services de la navigation aérienne durant la grève, pour informer les passagers des adaptations du trafic aérien consécutives au mouvement de grève et, anonymisées, pour l’information des organisations syndicales ». Le Conseil souligne également que ces informations sont couvertes par le secret professionnel et que leur détournement est pénalement sanctionné. Le législateur a ainsi pris soin de définir un périmètre d’usage restreint et finalisé, limitant les risques d’une utilisation des données à des fins autres que celles prévues.

B. L’application supplétive des garanties issues du droit de la protection des données

Concernant l’absence de mention d’une durée de conservation des données dans la loi, le Conseil oppose un raisonnement fondé sur l’articulation des normes. Il juge qu’en adoptant ces dispositions, le législateur « n’a pas entendu déroger aux garanties apportées par le règlement du 27 avril 2016 […] et la loi du 6 janvier 1978 ». Ces textes fondamentaux, qui constituent le droit commun de la protection des données, prévoient notamment des règles relatives à la durée de conservation. Par conséquent, leur silence n’équivaut pas à une absence de protection. Le Conseil considère que ces garanties générales s’appliqueront de plein droit au traitement de données mis en place. Le grief tiré de la violation du droit au respect de la vie privée est donc écarté, le Conseil estimant que le cadre juridique existant offre une protection suffisante sans qu’il soit nécessaire pour le législateur de le rappeler explicitement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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