Le Conseil constitutionnel a rendu, le 21 décembre 2023, une décision statuant sur la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Plusieurs députés ont saisi l’institution pour contester la sincérité des prévisions économiques ainsi que la régularité de nombreuses dispositions affectant la protection de la santé des assurés. Les requérants soutenaient que les délais d’examen par l’Assemblée nationale étaient méconnus et que certains articles constituaient des cavaliers sociaux sans lien réel avec le financement social. La juridiction devait déterminer si le mécanisme de suspension automatique des prestations sociales et les restrictions aux prescriptions médicales respectaient la garantie constitutionnelle de protection de la santé. Les juges ont censuré le dispositif de contrôle des arrêts de travail et les limites imposées à la télémédecine tout en rappelant le principe de séparation des pouvoirs. L’analyse portera sur l’exigence de garanties légales face aux atteintes au droit à la santé avant d’étudier la préservation de l’ordre constitutionnel des compétences et de la procédure.
I. L’exigence de garanties légales face aux atteintes au droit à la santé
A. La condamnation d’une suspension automatique des prestations sociales
Le législateur a souhaité renforcer la lutte contre les abus en permettant la suspension des indemnités journalières après le rapport d’un médecin mandaté par l’employeur. Le Conseil relève que « le versement des indemnités journalières est désormais suspendu par l’organisme local d’assurance maladie sans l’intervention préalable du service du contrôle médical ». Cette automatisation de la sanction administrative repose uniquement sur une expertise privée sans assurer systématiquement un nouvel examen médical de l’assuré par les services publics. L’absence d’intervention obligatoire du service du contrôle médical prive ainsi les travailleurs de garanties essentielles contre une privation injustifiée de leurs moyens d’existence. Les juges constitutionnels considèrent que « les dispositions contestées ont pour effet de priver du versement des indemnités journalières l’assuré social alors même que son incapacité physique […] a été constatée ». Cette rupture dans le versement de prestations indispensables à la subsistance du malade méconnaît les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
B. L’annulation des entraves disproportionnées à la prescription par télémédecine
La loi prévoyait également de restreindre la prescription de médicaments en rupture d’approvisionnement lors de consultations réalisées à distance pour éviter la constitution de stocks. Le Conseil constitutionnel censure cette mesure au motif qu’elle « peut avoir pour effet de priver un patient de la possibilité de se voir prescrire un médicament nécessaire ». L’interdiction générale s’appliquait même lorsque l’acte de télémédecine était effectué par le médecin traitant habituel du patient connaissant parfaitement son dossier médical et ses besoins. Cette rigidité législative ne tenait pas compte de l’impossibilité pour certains assurés d’obtenir une consultation physique rapide en raison de leur état de santé fragile. La protection de la santé exige que les restrictions aux modalités de prescription ne compromettent pas l’accès effectif aux soins essentiels pour l’ensemble de la population. Le droit à la protection de la santé l’emporte ainsi sur les préoccupations logistiques ou économiques liées à la gestion des pénuries de produits de santé sur le territoire.
II. La préservation de l’ordre constitutionnel des compétences et de la procédure
A. La protection du pouvoir réglementaire contre l’immixtion législative
La décision censure l’article imposant au Gouvernement de recueillir l’avis préalable des commissions parlementaires avant de modifier les tarifs de participation forfaitaire ou les franchises annuelles. Le Conseil juge qu’en « imposant de recueillir l’avis des commissions permanentes […], les dispositions font intervenir une instance législative dans la mise en œuvre du pouvoir réglementaire ». Cette immixtion du Parlement dans l’exercice d’une compétence réservée à l’exécutif constitue une violation caractérisée du principe fondamental de la séparation des pouvoirs publics. La Constitution attribue des domaines de compétence distincts qui ne sauraient être subordonnés à l’accord d’un organe issu d’un autre pouvoir sans base constitutionnelle expresse. Par ailleurs, les juges ont écarté de nombreux cavaliers sociaux qui n’avaient pas d’effet financier direct sur les recettes ou les dépenses des régimes de base. Le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale reste strictement délimité par la loi organique pour éviter tout détournement de la procédure législative simplifiée.
B. Le contrôle strict du périmètre financier et de la sincérité des prévisions
Le Conseil a toutefois validé la sincérité de la loi malgré les critiques des requérants sur le caractère optimiste des hypothèses de croissance et d’inflation retenues. Les juges estiment qu’il « ne ressort pas des éléments soumis […] que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondée la loi sont entachées d’une intention de fausser l’équilibre ». La sincérité se définit par l’absence d’intention frauduleuse et s’apprécie au regard des informations disponibles lors du dépôt du projet de loi par le Gouvernement. Si les prévisions devaient être infirmées par la conjoncture, il appartiendrait alors aux autorités de soumettre au Parlement les ajustements nécessaires dans une loi rectificative. Enfin, le Conseil a admis la conformité du dispositif de transport partagé sous réserve que le coefficient de minoration ne remette pas en cause l’accès aux soins. La décision maintient ainsi une vigilance constante sur les économies budgétaires afin qu’elles ne dégradent pas les conditions de prise en charge des patients les plus vulnérables.