Par sa décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité à la Constitution de la loi de finances pour l’année 2024. Saisi par de nombreux parlementaires, le juge constitutionnel examine tant la régularité de la procédure d’adoption que le fond de diverses dispositions fiscales contestées.
Les requérants critiquaient l’usage répété de l’engagement de responsabilité par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale lors de l’examen des différentes parties du texte. Ils invoquaient également une insincérité des prévisions de croissance et contestaient des mesures spécifiques, notamment des exonérations fiscales au profit de fédérations sportives internationales.
Le Conseil constitutionnel devait déterminer si l’engagement de responsabilité sur des fractions du projet de loi méconnaissait l’article 49 de la Constitution. Il lui appartenait aussi de vérifier si les avantages fiscaux octroyés respectaient le principe d’égalité devant les charges publiques et le domaine des lois de finances.
La régularité de la procédure législative et de la sincérité budgétaire (I) précède l’examen rigoureux du contenu matériel de la loi déférée (II).
I. La validation d’une procédure législative encadrée
A. La licéité de l’engagement successif de la responsabilité gouvernementale
Le juge constitutionnel écarte les griefs relatifs à la procédure d’adoption en rappelant la portée des prérogatives conférées au Premier ministre par la Constitution. L’exercice du droit d’engager la responsabilité du Gouvernement « n’est soumis à aucune autre condition que celles posées » par l’article 49, troisième alinéa.
Cette décision confirme que le Gouvernement peut engager sa responsabilité successivement sur la première puis sur la seconde partie d’un projet de loi de finances. Le respect de l’article 42 de la loi organique relative aux lois de finances impose l’adoption de la partie recettes avant la discussion des dépenses.
Lors de la lecture définitive, la Première ministre pouvait légitimement engager la responsabilité de son équipe sur l’ensemble du projet de loi de finances. Cette faculté demeure régulière dès lors que l’Assemblée nationale statue sur le dernier texte voté par elle sans possibilité d’amendement ultérieur à ce stade.
B. L’admission des prévisions économiques au titre de la sincérité budgétaire
Le contrôle de la sincérité budgétaire exercé par le Conseil constitutionnel se limite à l’absence d’intention manifeste de fausser les grandes lignes de l’équilibre financier. Cette sincérité « s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler » au moment du dépôt du texte.
Le Gouvernement a fondé ses prévisions sur une croissance du produit intérieur brut de 1,4 % pour l’année 2024 malgré les doutes émis par diverses institutions. Le juge estime que ces hypothèses ne sont pas entachées d’une volonté de tromper les parlementaires sur la réalité de la situation économique du pays.
Bien que le Haut conseil des finances publiques ait qualifié ces prévisions d’optimistes, il n’en résulte aucune méconnaissance flagrante des exigences de la loi organique. Cette validation formelle permet au Conseil constitutionnel d’engager un examen plus approfondi de la teneur même des dispositions législatives.
II. La sanction du contenu matériel de la loi de finances
A. Le respect impératif du principe d’égalité devant les charges publiques
L’article 31 du texte prévoyait d’exonérer de plusieurs impôts les fédérations sportives internationales reconnues par le Comité international olympique ainsi que leurs salariés fiscalement domiciliés. Le Conseil constitutionnel censure cette disposition en raison d’une rupture caractérisée de l’égalité des citoyens devant les charges publiques et devant la loi.
Le législateur souhaitait renforcer l’attractivité du territoire national en incitant ces organisations internationales à installer leur siège social sur le sol français. Toutefois, le critère de distinction retenu, fondé sur la seule reconnaissance par une entité tierce, manque de l’objectivité et de la rationalité nécessaires.
Le juge précise que « le législateur n’a pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but qu’il s’est proposé ». Cette absence de corrélation directe entre l’avantage fiscal et l’objectif d’intérêt général poursuivi entraîne l’inconstitutionnalité irrémédiable de la mesure de faveur envisagée.
B. L’éviction systématique des cavaliers budgétaires
La décision consacre une part importante de son dispositif à la censure de nombreuses dispositions étrangères au domaine obligatoire ou facultatif des lois de finances. Ces mesures, qualifiées de cavaliers budgétaires, méconnaissent les règles de procédure relatives au contenu limitatif fixé par la loi organique du 1er août 2001.
Parmi les articles rejetés figurent des dispositions relatives au financement des entreprises de défense par l’épargne réglementée ou à la communication de renseignements aux agents de transports. Le Conseil affirme que ces mesures « ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette » de l’État.
Le juge constitutionnel conclut que ces articles ont été adoptés selon une procédure viciée car ils n’ont aucun lien avec l’objet financier de la loi. Il constate alors que, « adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires », sans toutefois se prononcer sur le fond de leur validité.