Le Conseil constitutionnel a rendu, le 25 janvier 2024, une décision majeure concernant la loi visant à contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration. Cette saisine multiple, émanant notamment du Président de la République et de parlementaires, interrogeait la validité de nombreuses dispositions introduites durant le débat législatif. La procédure fait suite à l’adoption du texte par le Parlement le 19 décembre 2023, après une commission mixte paritaire complexe. Les requérants contestaient tant la régularité de la procédure d’adoption que le fond de mesures portant sur les prestations sociales ou les quotas. La question centrale posée aux juges portait sur le respect de l’article 45 de la Constitution relatif aux amendements et sur la protection des libertés individuelles. Le Conseil constitutionnel a censuré une part importante de la loi, principalement pour des raisons de forme, tout en invalidant certaines dispositions sur le fond. Cette décision souligne la rigueur procédurale imposée au législateur et l’exigence de garanties légales pour les libertés fondamentales. L’analyse portera d’abord sur la sanction des irrégularités procédurales avant d’examiner l’arbitrage rendu entre les prérogatives de l’État et les droits constitutionnels.
I. La sanction rigoureuse des irrégularités de la procédure législative
A. La censure massive des cavaliers législatifs par l’application de l’article 45
Le Conseil constitutionnel rappelle avec fermeté que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Cette règle, issue de l’article 45 de la Constitution, interdit l’insertion de dispositions étrangères au périmètre initial du projet de loi. En l’espèce, les juges ont identifié trente-deux articles qui ne présentaient aucun lien suffisant avec les thématiques d’origine. Ces mesures portaient sur des sujets variés comme la caution pour les étudiants étrangers, le regroupement familial ou la restriction des prestations sociales.
L’institution précise que son contrôle ne préjuge pas de la conformité du fond de ces articles aux autres exigences constitutionnelles. Le Conseil se borne à constater que ces dispositions ont été adoptées selon une procédure irrégulière car elles constituent des cavaliers législatifs. Cette approche permet de purger le texte des ajouts parlementaires qui dénaturent l’économie générale du projet gouvernemental initial. La juridiction assure ainsi une fonction de régulation du travail législatif pour garantir la clarté et la sincérité des débats parlementaires.
B. La préservation de la cohérence du domaine de la loi
La décision écarte également des dispositions modifiant le droit de la nationalité ou les conditions d’accès à l’hébergement d’urgence pour les étrangers irréguliers. Ces éléments, introduits par voie d’amendement, sont jugés dépourvus de lien avec les titres initiaux relatifs à l’intégration par le travail ou l’éloignement. Le Conseil constitutionnel veille à ce que le Parlement ne s’écarte pas de l’objet principal du texte lors de son examen. Cette protection évite que des réformes structurelles majeures ne soient adoptées sans avoir fait l’objet d’une étude d’impact préalable par le Conseil d’État.
Le juge constitutionnel maintient une jurisprudence constante qui limite le droit d’amendement aux périmètres thématiques définis dès le dépôt du projet. Cette rigueur procédurale constitue un rempart contre l’inflation législative et les compromis politiques de dernière minute. En censurant ces articles, le Conseil protège indirectement la qualité de la loi et le respect des étapes de sa formation. Cette sévérité sur la forme permet de différer l’examen au fond de mesures politiquement sensibles mais juridiquement fragiles.
II. Une protection nuancée des libertés face aux impératifs migratoires
A. L’invalidation des atteintes à l’autonomie parlementaire et à la liberté individuelle
Le Conseil constitutionnel a censuré sur le fond l’article 1er prévoyant que le Parlement fixe des objectifs chiffrés en matière d’immigration. Il estime qu’« une telle obligation pourrait faire obstacle aux prérogatives que le Gouvernement ou chacune des assemblées tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour ». Les juges protègent ainsi l’autonomie des assemblées et l’équilibre des pouvoirs contre des injonctions législatives contraignantes. La fixation de quotas par le législateur est apparue incompatible avec les règles constitutionnelles encadrant le travail parlementaire.
Par ailleurs, l’article 38 relatif au relevé des empreintes digitales sans consentement a été déclaré contraire à la Constitution. Le Conseil juge que ces opérations ne sont pas soumises à l’autorisation d’un magistrat et ne constituent pas l’unique moyen d’identification. Il affirme que les dispositions contestées « privent de garanties légales les exigences constitutionnelles » liées à la liberté personnelle et à la protection de la vie privée. Cette censure rappelle que l’efficacité de la police administrative ne peut justifier un affaiblissement des contrôles judiciaires nécessaires.
B. La validation encadrée des mesures de police administrative
Le Conseil constitutionnel valide néanmoins plusieurs mesures de fermeté, à condition qu’elles soient assorties de garanties procédurales suffisantes. Il accepte ainsi l’élargissement des motifs d’expulsion pour les étrangers menaçant gravement l’ordre public ou violant les principes de la République. Le juge souligne que l’autorité administrative doit démontrer une « menace grave et actuelle » et prendre en compte la situation familiale de l’intéressé. Cette validation s’accompagne d’une réserve d’interprétation imposant un contrôle de proportionnalité strict sous la surveillance du juge administratif.
De même, l’allongement de la durée de l’assignation à résidence est admis car il vise à garantir la représentation de l’étranger. Le Conseil exige toutefois que l’administration tienne compte du temps passé sous ce régime et des liens personnels noués lors de chaque renouvellement. La juridiction concilie ainsi l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public avec le respect des droits fondamentaux des résidents étrangers. La décision confirme la large compétence du législateur pour régler l’entrée et le séjour tout en maintenant un noyau dur de protections.