Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-1089 QPC du 17 mai 2024

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 17 mai 2024, une décision marquante relative à la conformité constitutionnelle de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881. Cette disposition organise un régime dérogatoire pour la mise en examen des personnes poursuivies pour des délits de diffamation ou d’injure publiques. En l’espèce, une information judiciaire a été ouverte pour des faits de diffamation, conduisant le juge d’instruction à envisager une mise en examen simplifiée par correspondance. La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt n° 313 du 13 février 2024, a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité. Le requérant soutenait que l’absence d’information sur le droit de se taire lors de cette phase procédurale méconnaissait l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La question posée aux juges portait sur la constitutionnalité d’une procédure invitant une personne à répondre à des questions sans lui notifier ses garanties fondamentales. Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées contraires à la Constitution en raison d’une atteinte caractérisée au droit de ne pas s’accuser. L’examen de cette décision conduit à analyser la protection du droit au silence (I), avant d’étudier les conséquences de l’inconstitutionnalité prononcée (II).

**I. L’affirmation du droit au silence au stade de la mise en examen dérogatoire**

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, affirmant solennellement que de la présomption d’innocence « résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ». Cette protection constitutionnelle s’oppose à toute procédure contraignante ou incitative qui pourrait amener une personne mise en cause à contribuer à sa propre condamnation. En matière de presse, la procédure simplifiée permet au magistrat d’inviter la personne à formuler des observations ou à répondre à des interrogations précises par voie postale. Cette modalité d’instruction, bien que dérogatoire au droit commun, ne saurait dispenser l’autorité judiciaire de respecter les droits fondamentaux garantis à tout justiciable lors d’une accusation pénale.

**A. Le fondement constitutionnel du droit de ne pas s’accuser**

La présomption d’innocence constitue le socle sur lequel repose l’entièreté de la procédure pénale française, interdisant toute forme de coercition visant à obtenir des aveux. Le Conseil constitutionnel rappelle avec force que ce principe cardinal implique nécessairement que l’individu ne soit pas contraint de participer activement à l’établissement des preuves contre lui-même. Dans le cadre de l’article 51-1, le juge d’instruction précise les faits reprochés et la qualification juridique, créant ainsi une situation d’imputation formelle de l’infraction. L’absence de notification du droit de se taire fragilise alors la position du mis en cause, qui pourrait se sentir obligé de répondre aux sollicitations du magistrat instructeur. La haute juridiction souligne que cette garantie doit être effective dès que la personne est invitée à s’exprimer sur les faits constituant l’objet des poursuites pénales.

**B. La vulnérabilité de la personne face à l’interrogatoire écrit**

Le juge d’instruction dispose de la faculté d’interroger la personne par écrit afin de solliciter sa réponse à différentes questions nécessaires à la manifestation de la vérité. Le Conseil constitutionnel relève que « l’office confié au juge d’instruction peut le conduire à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charges » contre l’individu concerné. La personne sollicitée peut ainsi être « amenée à reconnaître les faits qui lui sont reprochés » sans avoir été préalablement avertie de sa faculté de ne faire aucune déclaration. Le risque est d’autant plus grand que le caractère formel de la lettre recommandée peut laisser croire au destinataire qu’il ne dispose pas légalement du droit de se taire. Cette ambiguïté procédurale porte une atteinte disproportionnée aux droits de la défense et à l’équilibre nécessaire entre l’efficacité de l’enquête et la protection des libertés individuelles.

**II. Les conséquences de la censure constitutionnelle sur la procédure de presse**

Le Conseil constitutionnel conclut que les dispositions litigieuses méconnaissent les exigences constitutionnelles en omettant de prévoir une information indispensable pour le respect du droit au silence. Cette décision entraîne l’abrogation des mots relatifs aux observations écrites et à l’interrogatoire par correspondance figurant au deuxième alinéa de l’article 51-1 de la loi de 1881. Toutefois, les juges doivent concilier cette déclaration d’inconstitutionnalité avec les nécessités de la continuité de l’action publique et de la sécurité juridique des procédures en cours. Ils choisissent donc de différer l’abrogation tout en imposant une mesure transitoire immédiate afin de garantir la constitutionnalité des actes accomplis jusqu’à la réforme législative. Cette approche pragmatique permet de remédier à la lacune constatée sans pour autant paralyser le fonctionnement de l’instruction préparatoire en matière de délits de presse.

**A. La condamnation d’une lacune législative préjudiciable**

L’inconstitutionnalité résulte ici d’une omission du législateur qui n’a pas assorti la faculté d’interrogation écrite d’une garantie équivalente à celle de l’interrogatoire physique devant le juge. Le Conseil constitutionnel observe que « les observations ou les réponses de la personne dont la mise en examen est envisagée sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement ». Cette possibilité de verser au dossier des propos potentiellement auto-incriminants rend indispensable l’avertissement préalable du droit au silence pour assurer la loyauté de la procédure pénale. La censure frappe donc les dispositions qui permettaient au juge de solliciter des réponses sans notifier formellement au mis en cause l’étendue de ses droits protecteurs. Le législateur est ainsi invité à réviser la loi sur la presse pour y introduire les garanties de procédure pénale désormais incontournables sous peine de nullité.

**B. L’encadrement des effets de l’abrogation et la mesure transitoire**

Afin d’éviter des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel reporte l’abrogation définitive des dispositions au 1er juin 2025, laissant au Parlement le temps d’intervenir. Les juges précisent que les mesures prises avant la publication de leur décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité spécifique. Cependant, pour protéger les droits des justiciables dans l’intervalle, une règle transitoire est édictée, imposant au magistrat instructeur de notifier systématiquement le droit au silence. Désormais, le juge d’instruction informant une personne de son intention de la mettre en examen « doit lui notifier son droit de se taire » dans la lettre recommandée initiale. Cette obligation immédiate garantit que le silence de la loi ne puisse plus porter atteinte à la liberté fondamentale de ne pas contribuer à sa propre accusation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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