Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 28 mai 2024, une décision portant sur la conformité des conditions d’octroi de l’aide juridictionnelle aux étrangers. La juridiction était saisie de trois questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 29 février 2024. Plusieurs salariés engagés dans des contentieux prud’homaux contre leurs employeurs contestaient l’exclusion du bénéfice de l’aide en raison de leur situation irrégulière. Le litige opposait la volonté de l’administration de limiter les aides publiques à la nécessité pour les requérants de faire valoir leurs droits. La Cour de cassation a estimé que la question de la conformité de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 présentait un caractère sérieux. Le problème juridique résidait dans l’éventuelle rupture d’égalité devant la justice provoquée par l’exigence d’une résidence régulière sur le territoire national. La Haute juridiction a déclaré les mots « et régulièrement » contraires à la Constitution en raison de l’absence de garanties égales entre les justiciables. Cette décision affirme d’abord une égalité universelle devant la justice avant de garantir l’effectivité des droits reconnus par la loi.

I. L’affirmation de l’égalité devant la justice pour tous les justiciables

A. Le fondement constitutionnel de l’accès au juge

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le premier texte affirme que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le second garantit le droit des individus à bénéficier d’un recours juridictionnel effectif et au respect des droits de la défense. Les sages rappellent que le législateur peut instaurer des règles de procédure distinctes selon les situations traitées par les tribunaux. Toutefois, ces différences de traitement ne doivent jamais procéder de distinctions injustifiées entre des personnes placées dans une position juridique comparable. L’égalité devant la justice impose d’assurer des garanties égales à tous les justiciables, quelle que soit leur nationalité ou leur situation administrative. La protection juridictionnelle ne saurait être réservée aux seuls citoyens ou aux résidents bénéficiant d’un titre de séjour valide. Cette exigence constitutionnelle constitue le socle indispensable d’une société démocratique où la garantie des droits est assurée par l’autorité judiciaire.

B. L’inconstitutionnalité de la condition de régularité du séjour

L’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 subordonnait l’obtention de l’aide à une résidence habituelle et régulière en France pour les étrangers. Les requérants soutenaient que cette disposition créait une discrimination flagrante au détriment des personnes ne disposant pas de documents de séjour officiels. Le Conseil constitutionnel observe que les étrangers en situation irrégulière peuvent déjà bénéficier de l’aide pour certaines procédures pénales ou lors d’éloignements. En revanche, ils en restaient privés pour agir dans d’autres domaines, notamment pour obtenir le paiement de salaires devant le conseil de prud’hommes. La décision souligne qu’en privant ces personnes de l’aide, le législateur « n’assure pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables ». L’exclusion systématique d’une catégorie de résidents du bénéfice d’un dispositif de soutien financier entrave l’exercice concret de leur droit d’agir. L’inconstitutionnalité des termes litigieux remédie à une rupture d’égalité manifeste et assure désormais la pleine effectivité des droits reconnus par le législateur.

II. Les conséquences d’une protection juridictionnelle renforcée

A. La garantie de l’effectivité des droits reconnus par la loi

La décision du 28 mai 2024 met fin à une contradiction majeure du droit positif concernant le statut des travailleurs étrangers sans titre. La loi reconnaît expressément des droits à ces personnes, particulièrement dans le cadre d’un contrat de travail ou pour des préjudices corporels. Or, le refus de l’aide juridictionnelle rendait ces prérogatives purement théoriques faute de moyens financiers pour rémunérer un avocat. Le Conseil constitutionnel juge que le législateur ne peut pas reconnaître des droits substantiels tout en empêchant simultanément leur mise en œuvre judiciaire. Cette approche renforce la valeur de la règle de droit en garantissant que chaque justiciable puisse solliciter l’arbitrage d’un tribunal indépendant. La justice ne doit pas être un service réservé aux individus capables de supporter seuls les charges d’un procès complexe et coûteux. La suppression du critère de régularité restaure la logique interne du système de protection sociale des justiciables précaires sur le territoire.

B. La portée immédiate de l’abrogation du critère de résidence

L’abrogation des mots contestés prend effet immédiatement dès la date de publication de la décision au Journal officiel de la République française. Les membres du Conseil constitutionnel précisent que cette déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement. Cette portée large permet aux justiciables dont l’instance est en cours de solliciter immédiatement le bénéfice de l’aide de l’État. Elle marque une étape symbolique forte dans l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle relative aux droits fondamentaux des étrangers résidant en France. Cette décision de principe s’inscrit dans un mouvement global de protection des libertés qui transcende les seules considérations liées à la maîtrise migratoire. Le juge constitutionnel affirme ici que la dignité du justiciable prime sur le contrôle administratif de la présence des étrangers sur le sol national. L’accessibilité universelle du juge devient ainsi une réalité concrète pour l’ensemble des personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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