Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 12 juin 2024, a statué sur la conformité de l’article 459 du code des douanes. Un individu faisait l’objet de poursuites pénales pour des infractions à la législation réglementant les relations financières avec l’étranger. La chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité par un arrêt n° 457 rendu le 13 mars 2024. Le requérant critiquait le caractère automatique d’une peine complémentaire d’incapacité professionnelle et civique prévue par les dispositions législatives contestées. Cette sanction s’appliquait sans que le juge puisse en fixer la durée selon les circonstances de l’espèce ou la personnalité de l’auteur. Le Conseil devait déterminer si l’absence de modulation temporelle d’une telle peine méconnaissait le principe constitutionnel d’individualisation des sanctions pénales. Les sages déclarent la disposition contraire à la Constitution après avoir analysé l’atteinte portée aux prérogatives de la juridiction de jugement. L’étude de cette décision révèle d’abord la reconnaissance d’une sanction automatique (I), puis la protection nécessaire de l’office du juge (II).
I. L’incompatibilité constitutionnelle d’une peine d’incapacité automatique
A. La qualification pénale d’une mesure d’incapacité professionnelle et civique
L’article 459 du code des douanes prévoit que les personnes condamnées pour des infractions financières sont déclarées incapables d’exercer certaines fonctions. Ces citoyens perdent notamment le droit d’être électeurs ou élus aux tribunaux de commerce ainsi qu’aux conseils de prud’hommes. La jurisprudence constante de la Cour de cassation précise que cette peine « doit obligatoirement être prononcée par le juge pénal en cas de condamnation ». Le Conseil constitutionnel relève que ces dispositions instituent une véritable sanction ayant le caractère manifeste d’une punition au sens de la Déclaration de 1789. Cette mesure frappe l’individu tant qu’il n’a pas été formellement relevé de l’incapacité par une décision judiciaire spécifique.
B. L’inefficacité des tempéraments légaux face au défaut de modulation temporelle
Le code des douanes permet au juge de dispenser le condamné de cette peine complémentaire ou de l’assortir d’un sursis. Ces facultés procédurales demeurent insuffisantes pour garantir le respect des exigences découlant directement du principe constitutionnel d’individualisation des peines. Le juge ne possède effectivement aucun pouvoir pour moduler la durée de l’incapacité afin de tenir compte des circonstances propres à chaque espèce. L’impossibilité de fixer un terme précis à la sanction vide de sa substance l’office du juge chargé d’adapter la répression. Cette automaticité législative se heurte alors directement aux principes fondamentaux garantissant la liberté individuelle et le rôle imparti à l’autorité judiciaire.
II. La restauration de l’office souverain du juge dans le prononcé des peines
A. La primauté du principe d’individualisation sur l’objectif de répression effective
L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le principe d’individualisation implique qu’une sanction soit expressément prononcée par le juge en fonction de la gravité des faits reprochés. Le législateur peut certes fixer des règles assurant une répression effective mais il ne saurait occulter la nécessaire appréciation judiciaire. La décision souligne qu’une peine dont la durée échappe au contrôle du magistrat méconnaît les fondements essentiels de notre droit répressif contemporain. La protection des libertés individuelles exige que toute sanction puisse faire l’objet d’une pondération concrète par la juridiction de jugement.
B. L’effectivité immédiate d’une abrogation protectrice des libertés individuelles
Le Conseil constitutionnel décide que la déclaration d’inconstitutionnalité prend effet dès la date de publication de sa décision au Journal officiel. L’abrogation s’applique immédiatement à toutes les affaires qui n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement définitif à cette échéance précise. Cette solution garantit une protection optimale des droits du requérant ainsi que de l’ensemble des justiciables placés dans une situation analogue. Les sages refusent tout report de l’abrogation car aucun motif d’intérêt général ne justifie le maintien provisoire d’une telle automaticité. La censure rétablit ainsi la pleine souveraineté du juge pénal dans la détermination de la durée des incapacités prononcées à l’audience.