Par une décision n° 2024-1100 QPC du 10 juillet 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité constitutionnelle de l’encadrement des procédures de saisies immobilières. Le litige à l’origine de cette décision concerne un majeur protégé dont un bien immobilier a fait l’objet d’une saisie durant une phase d’enquête. La chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel par un arrêt rendu le 23 mai 2024. Le requérant soutient que l’absence de notification de la mesure de saisie au tuteur ou au curateur méconnaît gravement les droits de la défense. La question posée aux juges constitutionnels réside dans le caractère suffisant des garanties entourant l’information des représentants légaux lors de mesures attentatoires au patrimoine. Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions contestées contraires à la Constitution en raison d’une atteinte disproportionnée aux droits garantis par la Déclaration de 1789.
I. L’insuffisance manifeste de l’encadrement législatif des saisies immobilières
A. Une exclusion préjudiciable du dispositif d’alerte des représentants légaux
L’article 706-113 du code de procédure pénale énumère limitativement les décisions devant être portées à la connaissance du curateur ou du tuteur d’un majeur. Cette liste inclut les décisions de non-lieu, de relaxe ou de condamnation, mais omet les ordonnances de saisie immobilière prises durant l’instruction. En application de l’article 706-150 du même code, la décision de saisie est notifiée au seul propriétaire du bien immobilier, sans considération pour sa vulnérabilité. « Ces dispositions ne s’appliquent pas en cas de saisie d’un bien appartenant à ce majeur ordonnée au cours de l’enquête ou de l’instruction ». Cette lacune textuelle prive ainsi le représentant légal d’une information cruciale pour la protection des intérêts patrimoniaux de la personne protégée. Le législateur a instauré un régime de notification parcellaire qui ne couvre pas l’intégralité des mesures privatives de droits durant la procédure pénale.
B. La consécration de l’incapacité d’exercice autonome des droits de la défense
Le défaut de notification au représentant légal place le majeur protégé dans une situation de fragilité juridique évidente face aux prérogatives du juge d’instruction. Faute de discernement suffisant, le propriétaire peut se trouver dans l’impossibilité de contester utilement la mesure de saisie devant la chambre de l’instruction. Le Conseil souligne que « le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté ». Cette incapacité matérielle rend illusoire l’exercice du droit au recours pourtant prévu par les textes régissant la procédure pénale ordinaire. L’absence d’assistance par un curateur ou un tuteur durant ce délai de recours de dix jours compromet irrémédiablement l’équilibre des droits entre les parties. La protection du patrimoine immobilier exige une vigilance que l’altération des facultés mentales ou corporelles de l’intéressé empêche d’exercer avec la rigueur nécessaire.
II. La protection renforcée du majeur protégé et la modulation des effets de la décision
A. La primauté des garanties de l’article 16 de la Déclaration de 1789
Le Conseil constitutionnel fonde sa censure sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui garantit les droits de la défense. Les juges affirment avec force que « sont garantis par ces dispositions les droits de la défense », incluant la nécessité d’une assistance effective pour les personnes vulnérables. Le magistrat compétent doit être tenu d’avertir le curateur ou le tuteur afin de permettre au majeur d’être valablement assisté dans ses démarches. Cette décision renforce la portée du principe constitutionnel en imposant une obligation positive d’information à la charge des autorités judiciaires envers les protecteurs. La méconnaissance des droits de la défense est ici caractérisée par l’impossibilité pratique pour le justiciable de comprendre et de contester une mesure de coercition. Cette protection constitutionnelle ne saurait être segmentée selon la nature de la décision dès lors que celle-ci affecte substantiellement les droits de l’intéressé.
B. L’encadrement temporel de l’abrogation et les mesures transitoires
L’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait entraîné un vide juridique préjudiciable à l’information globale des tuteurs sur les autres décisions pénales mentionnées au code. Le Conseil décide donc de reporter la date de l’abrogation définitive au 1er juillet 2025 pour permettre au législateur de modifier la loi. Toutefois, une mesure transitoire est instaurée afin de faire cesser immédiatement l’inconstitutionnalité constatée pour les procédures en cours de traitement. « Son curateur ou son tuteur doit être avisé de la décision de saisie ainsi que, en cas de recours, de la date de l’audience ». Cette injonction garantit une application immédiate des principes constitutionnels sans attendre l’intervention d’un nouveau texte législatif dans le domaine de la procédure. Cette modulation permet de concilier la sécurité juridique nécessaire au fonctionnement des tribunaux avec l’exigence impérieuse de sauvegarde des libertés individuelles fondamentales.