Par la décision n° 2024-1106 QPC du 11 octobre 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de l’étendue de la protection fonctionnelle des élus municipaux.
Une commune a contesté les dispositions de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales limitant cette protection aux seules situations de poursuites pénales. La requérante déplorait l’exclusion des actes de l’enquête préliminaire, comme la garde à vue, contrairement au régime applicable aux agents publics depuis une réforme de 2016. Saisi par le Conseil d’État le 15 juillet 2024, le juge constitutionnel devait examiner si cette différence de traitement méconnaissait le principe d’égalité devant la loi. La commune invoquait également l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant une protection systématique des agents mis en cause. Le Conseil constitutionnel rejette ces griefs en affirmant que la situation des élus diffère de celle des fonctionnaires au regard de leurs missions respectives. Cette solution consacre la liberté du législateur dans l’aménagement des garanties accordées aux mandataires locaux sans méconnaître les exigences constitutionnelles de protection. L’étude de cette décision impose d’analyser l’exclusion d’un principe constitutionnel de protection automatique avant d’aborder la validation d’une différence de traitement fondée sur la situation.
I. L’exclusion de la protection fonctionnelle du champ des principes fondamentaux
A. L’inexistence d’une tradition législative constante
Le Conseil constitutionnel refuse de consacrer la protection fonctionnelle comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République sur le fondement de la loi de 1946. La requérante soutenait qu’une tradition républicaine imposait aux collectivités de couvrir tout agent public mis en cause pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions. Le juge rappelle que pour constituer un tel principe, une disposition doit résulter d’une législation constante intervenue sous un régime républicain avant la Constitution de 1946. Les textes invoqués prévoyaient seulement de couvrir les fonctionnaires des condamnations civiles et de les protéger contre les menaces ou les attaques subies pendant leur service.
Ces dispositions « n’ont toutefois eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe selon lequel la protection fonctionnelle devrait bénéficier à tout agent public ». Le Conseil souligne que ces garanties historiques ne concernaient pas spécifiquement les poursuites pénales ni les élus locaux dans le cadre de leurs fonctions administratives. L’absence de portée générale des textes antérieurs empêche ainsi la reconnaissance d’un principe constitutionnel qui aurait pu contraindre plus strictement les choix du législateur contemporain. La protection des agents publics demeure une règle législative importante mais ne revêt pas le caractère d’une norme constitutionnelle impérative au titre de la tradition.
B. La spécificité irréductible du mandat électif
Le raisonnement du juge constitutionnel distingue nettement le statut des agents publics de celui des élus locaux dans l’analyse de la tradition juridique française. Il précise que les dispositions de la loi de 1946 relatives au statut général des fonctionnaires « ne sauraient donc avoir donné naissance à un principe fondamental » applicable aux élus. Cette distinction s’explique par la nature politique du mandat municipal qui diffère radicalement du lien hiérarchique et statutaire unissant l’agent à son administration. Le législateur n’a jamais entendu assimiler parfaitement ces deux catégories d’acteurs de l’action publique au regard des garanties de défense et d’assistance juridique.
L’exclusion du grief tiré de la méconnaissance d’un principe fondamental permet au Conseil constitutionnel de valider la marge de manœuvre dont dispose le pouvoir législatif. Cette autonomie normative est essentielle pour adapter les règles de protection aux réalités changeantes de la vie publique et aux contraintes budgétaires des collectivités locales. Le juge refuse d’étendre artificiellement une garantie statutaire de la fonction publique vers le domaine des mandats électoraux sans une base textuelle claire et ancienne. Cette position de principe clarifie la hiérarchie des normes applicables à la responsabilité des élus municipaux tout en préparant l’examen de la rupture d’égalité.
II. La justification constitutionnelle d’un régime de protection différencié
A. L’objectivation d’une différence de situation juridique
Le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité en identifiant des différences objectives entre les élus et les agents publics. La loi de 2016 permet aux fonctionnaires de bénéficier de la protection lors d’une garde à vue ou d’une audition en qualité de témoin assisté. Les élus municipaux ne bénéficient de cette aide de la commune qu’au stade ultérieur des poursuites pénales formellement engagées par les autorités judiciaires. Cependant, le juge estime que ces deux catégories « ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune ».
Cette appréciation repose sur la nature particulière des missions exercées par les maires et leurs adjoints qui agissent en tant qu’autorités politiques délibérantes. Les conditions d’exercice de leurs fonctions, marquées par une autonomie de décision et une responsabilité devant les électeurs, justifient un cadre juridique de protection spécifique. Le principe d’égalité n’impose pas une uniformité absolue des règles lorsque les situations de fait et de droit présentent des disparités aussi marquées. Le législateur peut donc légitimement choisir de ne pas calquer le régime des élus sur celui des fonctionnaires territoriaux sans commettre d’erreur manifeste.
B. La latitude laissée au législateur en matière de garanties
La décision souligne que le législateur dispose d’une compétence d’attribution pour définir les modalités de la protection fonctionnelle selon l’intérêt général et les objectifs poursuivis. Le Conseil constitutionnel observe qu’il « serait loisible au législateur d’étendre la protection fonctionnelle bénéficiant aux élus municipaux à d’autres actes de la procédure pénale ». Cette formulation indique que l’absence de protection au stade de l’enquête préliminaire ne constitue pas un oubli inconstitutionnel mais un choix politique délibéré. La différence de traitement est jugée en rapport direct avec l’objet de la loi visant à protéger l’exercice des mandats locaux.
La conformité de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est ainsi confirmée par une lecture restrictive des exigences de la Déclaration de 1789. Le juge valide la cohérence d’un système qui réserve le plein bénéfice de la protection municipale aux phases les plus graves de la procédure. Cette solution préserve les finances locales tout en garantissant un noyau dur de protection contre les risques pénaux inhérents à la gestion des communes. Le Conseil constitutionnel maintient une approche pragmatique qui laisse au Parlement le soin d’apprécier l’opportunité d’une éventuelle convergence future des régimes de protection.