Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-1108 QPC du 18 octobre 2024

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 18 octobre 2024, examine la conformité de dispositions législatives relatives à la discipline des magistrats financiers. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’absence d’information du magistrat poursuivi quant à son droit de garder le silence durant l’enquête.

Un magistrat a fait l’objet d’une procédure disciplinaire devant une instance spécialisée sans que la notification de ce droit ne soit expressément prévue par la loi. La haute juridiction administrative a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité de ces règles aux droits et libertés constitutionnels. Le requérant soutient que le silence des textes méconnaît les exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le problème juridique réside dans l’obligation pour le législateur de prévoir une information préalable sur le droit de se taire lors d’une audition disciplinaire. Les sages déclarent les dispositions contestées contraires à la Constitution car elles omettent cette garantie fondamentale pourtant applicable à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Cette décision impose désormais une protection accrue des droits de la défense dans le cadre des procédures administratives répressives.

I. L’exigence constitutionnelle de l’information sur le droit de se taire

A. L’application du droit de se taire aux sanctions disciplinaires

Le Conseil constitutionnel fonde sa réflexion sur l’article 9 de la Déclaration de 1789 qui consacre la présomption d’innocence et la liberté individuelle. Il affirme ainsi le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire » dans toute procédure répressive. Ces exigences ne se limitent plus aux seules peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent désormais à « toute sanction ayant le caractère d’une punition ».

Cette extension jurisprudentielle confirme que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination protège les professionnels faisant l’objet de poursuites disciplinaires. Le juge constitutionnel considère que la nature de la sanction, même administrative, impose le respect des garanties traditionnellement réservées au domaine du droit criminel. La protection de l’individu face au pouvoir de sanction de l’autorité publique devient un impératif uniforme dans l’ensemble de l’ordre juridique.

B. L’obligation d’une notification préalable et explicite du droit

La décision précise que le droit de se taire est effectif seulement si l’intéressé est « préalablement informé du droit qu’il a de se taire ». Le Conseil observe que le magistrat entendu peut être « amené à reconnaître les manquements pour lesquels il est disciplinairement poursuivi » lors de son audition. L’absence d’une information explicite pourrait laisser croire à l’intéressé qu’il ne dispose d’aucune faculté de silence face aux questions du rapporteur.

L’invitation faite au magistrat de fournir ses explications sans rappel de ses droits constitue une atteinte disproportionnée aux garanties constitutionnelles essentielles de la défense. Le Conseil souligne que les déclarations recueillies sont consignées dans un rapport et servent de base à la décision finale de l’instance de jugement. Cette réalité procédurale rend indispensable la notification immédiate de la liberté de ne faire aucune déclaration lors des phases d’enquête et d’audience.

II. La mise en œuvre de la déclaration d’inconstitutionnalité

A. Le constat d’une méconnaissance des garanties de la défense

Le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence en ne prévoyant pas les garanties fondamentales nécessaires à l’exercice des droits de la défense. En omettant de préciser les modalités d’information du magistrat, les dispositions législatives du code des juridictions financières sont entachées d’une inconstitutionnalité manifeste. Le Conseil constitutionnel prononce donc l’abrogation des phrases contestées pour restaurer la pleine efficacité du droit de ne pas s’auto-incriminer.

Cette censure technique sanctionne un vide législatif qui privait les membres des chambres régionales des comptes d’une protection reconnue aux autres justiciables. Le juge rappelle que la procédure disciplinaire doit respecter un équilibre entre l’efficacité de l’enquête et la préservation des libertés du professionnel mis en cause. La reconnaissance de cette lacune législative oblige ainsi les autorités publiques à modifier rapidement les cadres procéduraux existants pour les mettre en conformité.

B. L’encadrement temporel des effets de l’abrogation législative

L’abrogation immédiate des textes aurait pour conséquence de paralyser l’ensemble des procédures disciplinaires en cours au sein des juridictions financières concernées. Le Conseil estime qu’une disparition brutale des dispositions « entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives » pour le bon fonctionnement de l’institution et de la justice. Il décide donc de reporter la date de l’abrogation définitive au 1er octobre 2025 pour permettre une intervention législative corrective et ordonnée.

Toutefois, une réserve d’interprétation transitoire est formulée afin que l’inconstitutionnalité cesse de produire ses effets néfastes dès la publication de la présente décision. Le juge constitutionnel dispose que l’instance disciplinaire « doit informer le magistrat de son droit de se taire » dès sa première audition ou comparution. Cette mesure provisoire garantit le respect immédiat des droits fondamentaux tout en préservant la continuité nécessaire des missions de contrôle des finances publiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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