Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-1117/1118 QPC du 17 janvier 2025

Par une décision rendue le 17 janvier 2025, le Conseil constitutionnel a été conduit à se prononcer sur la conformité constitutionnelle de l’article 413-4 du code pénal. Deux individus ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité lors de poursuites pénales relatives à des faits qualifiés de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée. La chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis ces interrogations par deux arrêts en date du 16 octobre 2024 afin de vérifier le respect des droits fondamentaux. Les requérants soutenaient que la notion de démoralisation restait trop imprécise et qu’elle portait une atteinte injustifiée à la libre communication des pensées garantie par la Déclaration de 1789. Le juge constitutionnel devait déterminer si la répression d’une telle entreprise respecte les exigences de clarté de la loi pénale et de proportionnalité des restrictions aux libertés. Le Conseil écarte les griefs en précisant les contours matériels et intentionnels de l’infraction tout en préservant le débat d’intérêt général indispensable à la vie démocratique. L’examen de la décision révèle d’abord la validation de la précision de l’incrimination de démoralisation avant d’analyser l’encadrement proportionné de la liberté d’expression qui en découle.

**I. La validation de la précision de l’incrimination de démoralisation de l’armée**

**A. Une définition législative ancrée dans la volonté d’organisation collective**

Le Conseil rappelle que le législateur a entendu réprimer des actions participant d’une « organisation coordonnant ses efforts dans le but d’amoindrir l’engagement des forces armées ». Cette interprétation s’appuie sur les travaux parlementaires pour identifier une « entreprise collective visant, par de telles actions, à atteindre ce but » de nuire à la défense. La juridiction évacue ainsi l’idée d’une incrimination floue qui pourrait frapper des comportements isolés ou des critiques purement individuelles dépourvues de structure organisée. L’existence d’une action coordonnée devient le critère matériel essentiel permettant de distinguer l’exercice d’un droit de l’appartenance à un groupement hostile aux forces militaires. Cette exigence de matérialité collective offre une première garantie contre le risque d’arbitraire en limitant le champ d’intervention de la police et des tribunaux répressifs.

**B. L’exigence d’un élément intentionnel spécifique garantissant la légalité**

La juridiction souligne que le comportement prohibé nécessite des actes traduisant la volonté de l’auteur de prendre part, en connaissance de cause, à cette organisation malveillante. L’exigence d’une « intention de nuire à la défense nationale » restreint considérablement le champ d’application de la norme pour protéger les citoyens contre des poursuites injustifiées. Le juge constitutionnel estime que ces précisions suffisent à définir les crimes et délits en termes clairs pour exclure toute interprétation extensive de la loi pénale. La preuve de cette intention spécifique incombe aux autorités de poursuite qui doivent démontrer le lien entre l’acte individuel et l’objectif global de l’entreprise criminelle. Cette rigueur dans la caractérisation de l’élément moral de l’infraction permet au Conseil de déclarer les dispositions conformes au principe de légalité des délits.

**II. L’encadrement proportionné de la liberté d’expression au nom de la défense nationale**

**A. La poursuite d’un objectif de valeur constitutionnelle légitime**

Le juge considère que l’incrimination vise à protéger la sauvegarde de l’ordre public ainsi que les « exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ». Cette finalité justifie une limitation de la liberté d’expression dès lors que l’atteinte demeure nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de valeur constitutionnelle recherché. Le législateur dispose d’une marge d’appréciation pour définir les abus de la liberté de communication qui portent gravement atteinte à la sécurité et à la cohésion militaire. La décision reconnaît que la protection de l’armée contre des manœuvres de déstabilisation constitue un impératif supérieur justifiant une intervention législative pour prévenir des dommages irréparables. L’équilibre entre la liberté individuelle et la sécurité nationale semble ici préservé par la définition étroite des comportements susceptibles de tomber sous le coup de la loi.

**B. L’absence d’entrave aux débats d’opinion sur les questions militaires**

La décision précise utilement que les dispositions contestées ne font pas « obstacle à l’expression d’opinions portant sur des interventions militaires ou la défense nationale ». En limitant la répression aux seules entreprises malveillantes coordonnées, le Conseil préserve le droit de chaque citoyen de critiquer publiquement les choix stratégiques de l’État. Cette distinction fondamentale garantit que le simple débat politique ou la contestation morale d’un conflit armé ne peuvent être assimilés à une entreprise criminelle de démoralisation. La neutralité de l’incrimination au regard du contenu des opinions exprimées assure que la liberté d’expression demeure la règle tandis que la sanction de l’abus reste l’exception. Le juge constitutionnel confirme ainsi que la protection des intérêts de la nation ne saurait conduire à l’étouffement de la contradiction nécessaire au fonctionnement du régime démocratique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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