Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-1123 QPC du 6 février 2025

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 6 février 2025, une décision relative à la conformité de l’article 92 de la loi du 18 novembre 2016. Cette disposition limite l’usage de l’action de groupe en matière de discrimination aux seuls faits générateurs survenus après la promulgation du texte. Des organisations syndicales ont contesté cette règle lors d’un litige portant sur des discriminations syndicales présumées au sein d’une entreprise industrielle. La chambre sociale de la Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité par un arrêt numéro 1328 du 4 décembre 2024. Les requérants invoquaient une rupture d’égalité devant la loi, soulignant que d’autres actions de groupe bénéficiaient d’une application immédiate aux faits antérieurs. La juridiction constitutionnelle devait déterminer si l’exclusion de la rétroactivité procédurale pour ce nouveau recours portait une atteinte injustifiée aux principes d’égalité. Les juges ont déclaré la disposition conforme, estimant que les différences de traitement reposaient sur des situations distinctes et des objectifs légitimes. L’analyse s’articulera autour de la justification de la distinction temporelle puis de la préservation des garanties offertes aux victimes.

I. L’admission d’une application différée justifiée par la diversité des cadres législatifs

A. L’autonomie des régimes d’actions de groupe successivement institués

Le Conseil constitutionnel écarte d’abord le grief tiré de la comparaison avec les actions de groupe en matière de consommation et de santé. Il souligne que ces régimes résultent de lois antérieures dont l’objet diffère sensiblement de la loi de modernisation de la justice de 2016. Le législateur ne saurait se voir reprocher une différence de traitement pour des dispositifs créés par des textes successifs aux finalités hétérogènes. La décision précise qu’il ne peut être fait grief au législateur de n’avoir pas prévu « les mêmes conditions d’entrée en vigueur pour ces actions de groupe ». Cette approche consacre l’autonomie du pouvoir législatif dans la détermination des modalités temporelles d’application des réformes procédurales qu’il adopte souverainement.

B. La distinction matérielle entre les finalités de cessation et de réparation

L’institution d’une différence entre l’action de groupe en discrimination et celle relative aux données personnelles repose sur une distinction objective de nature. Le Conseil relève que l’action en matière de données à caractère personnel tend exclusivement à obtenir la cessation immédiate des manquements constatés. À l’inverse, l’action de groupe pour discrimination permet d’obtenir « la réparation des préjudices subis », ce qui constitue une modification substantielle du régime. Cette divergence d’objet justifie, selon les sages, un traitement procédural différencié sans que le principe d’égalité devant la justice ne soit méconnu. La nature des faits et les règles de procédure applicables confirment ainsi que la différence de traitement est « fondée sur une différence de situation ».

II. La conciliation entre la sécurité juridique des opérateurs et les droits des justiciables

A. La protection de l’organisation des entreprises face à une voie de droit nouvelle

L’exclusion de l’application immédiate répond à un objectif de sécurité juridique destiné à permettre aux opérateurs économiques de s’adapter aux nouvelles contraintes. Le législateur a entendu « permettre aux entreprises de se préparer à la mise en œuvre d’une nouvelle voie de droit ouverte aux victimes ». Cette préoccupation permet d’éviter une déstabilisation brutale des équilibres institutionnels par l’introduction rétroactive d’un mécanisme de réparation collective puissant. Le Conseil valide ainsi la prise en compte de l’impact organisationnel de la réforme comme un critère en rapport avec l’objet de la loi. Cette protection des acteurs privés s’inscrit dans une recherche d’équilibre entre l’efficacité du droit des victimes et la prévisibilité des règles juridiques.

B. Le maintien de l’accès effectif à la justice par les voies de droit commun

L’absence de recours à l’action de groupe pour les faits anciens ne prive pas les justiciables de leur droit fondamental à obtenir réparation. Les victimes peuvent toujours « agir selon les voies de droit commun pour obtenir la réparation des préjudices subis », garantissant leur accès effectif. L’action de groupe n’est qu’une modalité procédurale complémentaire qui ne se substitue pas aux actions individuelles préexistantes devant les juridictions compétentes. Par conséquent, les garanties égales pour la protection des intérêts des citoyens sont assurées malgré l’impossibilité d’utiliser le nouveau mécanisme collectif rétroactivement. La décision confirme que le droit au recours demeure entier, préservant ainsi l’exigence de protection des libertés individuelles garantie par la Constitution.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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