Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-6324 AN du 24 janvier 2025

Par une décision en date du 24 janvier 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la régularité des opérations électorales qui se sont tenues dans la 5e circonscription d’un département. En l’espèce, un candidat ayant obtenu 3,63 % des suffrages exprimés au premier tour d’une élection législative a saisi le juge électoral d’une requête visant à l’annulation du scrutin. La candidate élue au second tour avait remporté l’élection avec une avance de 1 009 voix sur son adversaire direct. Le requérant fondait sa demande sur plusieurs griefs, incluant des irrégularités dans l’affichage électoral, l’utilisation supposée de moyens publics au profit de la candidate élue, et une couverture médiatique qu’il jugeait partiale.

Le candidat évincé a donc formé un recours devant le Conseil constitutionnel, autorité compétente pour juger du contentieux des élections législatives. La députée proclamée élue a présenté plusieurs mémoires en défense pour contester les allégations formulées à son encontre. Le requérant a ensuite déposé un mémoire en réplique. Dans le cadre de la procédure, le juge a notamment déclaré irrecevable un grief soulevé tardivement par le requérant, car celui-ci avait été présenté après l’expiration du délai de recours de dix jours. Il était donc demandé au Conseil constitutionnel de déterminer si les irrégularités alléguées, prises isolément ou dans leur ensemble, avaient été de nature à altérer la sincérité du scrutin et à en modifier l’issue, justifiant ainsi son annulation.

Le Conseil constitutionnel a rejeté la requête. Il a estimé qu’aucun des moyens soulevés par le requérant ne permettait d’établir que les résultats de l’élection avaient été viciés. Le juge a considéré que les faits dénoncés, qu’il s’agisse de l’affichage, de l’intervention d’élus ou de la couverture par la presse, n’étaient pas, « compte tenu des écarts de voix, susceptibles d’avoir influé sur le résultat du scrutin ». Cette décision illustre l’approche pragmatique du juge électoral, qui subordonne l’annulation d’une élection à la preuve d’une manœuvre ayant eu un impact décisif.

Le Conseil constitutionnel applique ainsi une grille d’analyse rigoureuse pour évaluer les irrégularités matérielles de la campagne (I), tout en affirmant la protection des libertés fondamentales qui animent le débat électoral (II).

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I. L’appréciation rigoureuse des irrégularités matérielles de la campagne électorale

Le juge électoral conditionne la sanction des manquements aux règles de propagande à la démonstration de leur influence sur le scrutin. Pour ce faire, il impose une analyse stricte de l’ampleur des manœuvres dénoncées (A) et fait peser sans ambiguïté la charge de la preuve sur le requérant (B).

A. L’exigence d’une manœuvre d’une ampleur déterminante

Le Conseil constitutionnel rappelle que la simple existence d’une irrégularité ne suffit pas à entraîner l’annulation d’une élection. Concernant l’affichage électoral en dehors des emplacements autorisés par l’article L. 51 du code électoral, le juge ne se contente pas de constater le manquement. Il recherche si celui-ci a pu avoir une réelle portée sur le choix des électeurs. En l’espèce, il retient que « les seules photographies qu’il produit ne permettent pas d’établir que cet affichage aurait revêtu un caractère massif, prolongé ou répété ». Cette formule, classique dans le contentieux électoral, souligne la nécessité d’un certain degré de gravité.

L’appréciation est donc proportionnée et s’effectue au regard des circonstances du scrutin, notamment l’écart de voix entre les candidats. Avec une différence de 1 009 suffrages, une irrégularité mineure ou isolée est jugée par principe incapable d’avoir altéré la sincérité du vote. De même, des irrégularités purement formelles, comme le format ou le nombre d’affiches sur les panneaux officiels, sont considérées comme étant « sans incidence sur les résultats du scrutin ». Le juge refuse de sanctionner des manquements qui, bien que réels, n’ont manifestement pas eu d’effet sur la volonté des électeurs.

B. La charge de la preuve incombant au demandeur

La décision réaffirme un principe fondamental de la procédure contentieuse : il appartient à celui qui allègue une fraude ou une irrégularité d’en apporter la preuve. Le requérant soutenait que ses propres affiches avaient été recouvertes par des documents visant à le discréditer. Si le Conseil qualifie un tel acte de « regrettable », il constate que « ni leur origine ni la durée ou l’ampleur de leur diffusion n’est établie ». Faute d’éléments probants permettant d’identifier les auteurs de la manœuvre ou de mesurer son impact réel sur l’électorat, le juge ne peut y donner de suite.

Cette exigence probatoire se retrouve dans le traitement des autres griefs. Le requérant affirmait que la candidate élue avait bénéficié du soutien matériel et humain de collectivités publiques, en violation des articles L. 50 et L. 52-8 du code électoral. Le Conseil écarte ce moyen en relevant que le demandeur « ne produit aucun élément au soutien de ses allégations ». Le juge ne peut se fonder sur de simples affirmations. Cette rigueur garantit la stabilité des résultats électoraux en évitant que des scrutins ne soient annulés sur la base de soupçons non étayés.

II. La protection affirmée des libertés dans le cadre du débat électoral

Au-delà des aspects matériels de la campagne, le Conseil constitutionnel se prononce sur le rôle des acteurs publics et des médias. Il établit une distinction claire entre l’exercice d’un mandat public et une campagne personnelle (A), tout en consacrant la pleine liberté de la presse dans le compte rendu des campagnes (B).

A. La distinction opérée entre mandat public et campagne personnelle

Le requérant reprochait à la candidate élue, vice-présidente du conseil départemental, d’avoir participé à une inauguration durant la période électorale. Le Conseil constitutionnel refuse de voir dans cet événement une participation prohibée d’une collectivité au financement d’une campagne. Il précise la condition qui aurait pu rendre le grief opérant : il aurait fallu que cette inauguration fût « l’occasion d’une expression politique en relation avec la campagne électorale ». En creux, le juge admet qu’un élu, même candidat, continue d’exercer ses fonctions et que sa simple présence à un événement public ne constitue pas en soi une irrégularité.

Cette solution établit un équilibre entre l’interdiction de l’utilisation de moyens publics à des fins électorales et la nécessaire continuité de la vie publique. Par ailleurs, la décision illustre la sévérité procédurale du contentieux électoral en déclarant irrecevable le grief relatif à de prétendues pressions sur des personnes vulnérables. Le fait que ce moyen ait été invoqué « pour la première fois dans un mémoire en réplique enregistré postérieurement à l’expiration du délai de dix jours » suffit à l’écarter, sans même un examen au fond, rappelant le caractère strict et bref des délais de recours.

B. La consécration de la liberté de la presse dans le compte rendu de la campagne

Le dernier apport de la décision concerne le rôle des médias. Le requérant mettait en cause des articles de la presse locale, y voyant une forme de soutien déguisé. Le Conseil constitutionnel offre une réponse de principe d’une grande clarté en affirmant que « la presse écrite peut rendre compte comme elle l’entend d’une campagne électorale ». Cette formule confère une immunité de principe aux choix éditoriaux des organes de presse dans le cadre d’une campagne.

Le juge refuse explicitement de qualifier ces articles de « procédé de publicité commerciale au sens du premier alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral » ou d’« avantage en nature contraire aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 52-8 ». Ce faisant, il distingue la couverture journalistique, même si elle peut paraître déséquilibrée à l’un des candidats, des prestations de communication financées par un tiers. Cette décision a une portée significative en ce qu’elle protège la liberté éditoriale de la presse, jugeant que son traitement d’une campagne relève du débat démocratique normal et non d’une manœuvre frauduleuse, sauf altération manifeste de la sincérité du scrutin.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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