Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-6390 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du non-respect des règles relatives au financement des campagnes électorales. En l’espèce, un candidat aux élections législatives qui se sont déroulées les 30 juin et 7 juillet 2024 a vu son compte de campagne rejeté par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Saisi par cette dernière, le juge électoral était appelé à statuer sur la situation du candidat au regard des obligations prévues par le code électoral. La Commission avait en effet constaté que le mandataire financier désigné par le candidat n’avait pas ouvert le compte bancaire unique requis pour retracer l’ensemble des opérations financières liées à la campagne. Le candidat, quant à lui, a présenté des observations en défense, qui n’ont manifestement pas convaincu. Se posait dès lors au Conseil constitutionnel la question de savoir si l’omission d’ouvrir un compte bancaire de campagne unique constitue un manquement d’une gravité suffisante pour justifier non seulement le rejet du compte, mais également le prononcé d’une peine d’inéligibilité à l’encontre du candidat. Le Conseil constitutionnel y répond par l’affirmative, en confirmant le bien-fondé du rejet du compte et en déclarant le candidat inéligible pour une durée d’un an. Il estime que cette omission constitue un « manquement d’une particulière gravité à une règle dont [le candidat] ne pouvait ignorer la portée ».

La décision commentée confirme ainsi une application rigoureuse des obligations formelles pesant sur les candidats (I), tout en faisant une application mesurée mais ferme du pouvoir de sanction qui en découle (II).

I. L’application rigoureuse du formalisme en matière de comptes de campagne

Le Conseil constitutionnel valide sans réserve le rejet du compte de campagne opéré par la Commission, en s’appuyant sur le caractère intangible de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié (A), ce qui rend le rejet du compte inéluctable en l’absence de toute possibilité de régularisation (B).

A. Le caractère substantiel de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire unique

Le Conseil constitutionnel rappelle que, selon l’article L. 52-6 du code électoral, le mandataire financier du candidat a l’obligation d’ouvrir « un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». Cette exigence constitue la pierre angulaire du dispositif de contrôle du financement politique. Elle vise à garantir la transparence et la traçabilité des flux financiers, permettant ainsi à la commission de contrôle puis, le cas échéant, au juge de l’élection de vérifier l’origine des recettes et la nature des dépenses. En l’espèce, le juge constate de manière lapidaire que le compte de campagne a été rejeté « au motif que son mandataire financier n’avait pas ouvert de compte bancaire ». Le caractère matériel et incontestable de cette omission suffit à constituer l’irrégularité. Le Conseil ne s’attarde aucunement sur les éventuelles justifications ou sur l’absence de fraude avérée, car le simple fait de ne pas se soumettre à cette obligation formelle vicie l’ensemble du compte. Cette formalité est en réalité une condition substantielle de la validité du compte, car son absence rend impossible toute vérification sérieuse de la régularité des opérations financières menées durant la campagne.

B. La validation inéluctable du rejet du compte

Une fois l’irrégularité établie, le Conseil constitutionnel en tire la conséquence logique et nécessaire : le rejet du compte était justifié. Il le formule en des termes qui ne laissent place à aucune discussion, affirmant que « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ». Cette approche démontre que certaines règles du financement électoral ne souffrent d’aucune exception ni d’aucune pondération. L’absence de compte bancaire unique n’est pas une simple erreur de forme susceptible d’être minimisée ou régularisée a posteriori. Elle constitue une carence fondamentale qui fait obstacle à l’exercice même du contrôle prévu par la loi. Par conséquent, la décision de rejet prise par la Commission n’était pas une faculté mais une compétence liée. Le juge électoral, en validant cette décision, réaffirme que le respect scrupuleux des procédures comptables est une condition non négociable de la régularité d’une campagne électorale. La solution est sévère mais cohérente avec l’objectif de moralisation de la vie politique poursuivi par le législateur depuis plusieurs décennies.

La confirmation du rejet du compte n’épuise cependant pas l’office du juge constitutionnel, qui doit ensuite se prononcer sur l’opportunité d’une sanction personnelle à l’encontre du candidat.

II. Le prononcé d’une sanction proportionnée à la gravité du manquement

Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de valider le rejet du compte ; il prononce également une peine d’inéligibilité. Pour ce faire, il caractérise la nature du manquement commis par le candidat (A) avant de prononcer une sanction qui se veut tout autant punitive que dissuasive (B).

A. La caractérisation d’un manquement d’une particulière gravité

En vertu de l’article L.O. 136-1 du code électoral, le prononcé d’une inéligibilité suppose de démontrer une « volonté de fraude ou [un] manquement d’une particulière gravité ». En l’espèce, le Conseil écarte la qualification de fraude pour retenir celle du manquement grave. Il juge en effet qu’« eu égard à la particulière gravité du manquement à une règle dont [le candidat] ne pouvait ignorer la portée », il y a lieu de prononcer son inéligibilité. La motivation est ici éclairante. La gravité ne résulte pas d’un montant, d’une dissimulation ou d’un enrichissement, mais de la nature même de la règle transgressée. L’obligation d’ouvrir un compte unique est si fondamentale et si connue que son ignorance est jugée inexcusable pour quiconque prétend à un mandat national. Le Conseil opère ainsi une présomption de connaissance de la loi électorale par le candidat. En considérant que ce dernier « ne pouvait ignorer la portée » de cette règle, il transforme une négligence, même avérée, en une faute quasi intentionnelle, justifiant une sanction qui va au-delà de la simple invalidation comptable.

B. Une inéligibilité à la portée pédagogique

Le Conseil constitutionnel prononce une inéligibilité « pour une durée d’un an à compter de la présente décision ». Le choix de cette sanction et de sa durée révèle la portée que le juge entend donner à sa décision. Il ne s’agit pas uniquement de punir un candidat négligent, mais bien d’envoyer un signal clair à l’ensemble des acteurs politiques. La sanction d’un an est à la fois modérée, ce qui témoigne d’une certaine proportionnalité en l’absence de fraude, et significative, car elle prive le candidat de la possibilité de se présenter à d’autres élections pendant cette période. Cette décision a donc une valeur pédagogique et dissuasive. Elle rappelle que la transparence financière n’est pas une option mais une exigence démocratique dont le respect est sanctionné sévèrement. En agissant de la sorte, le Conseil constitutionnel consolide son rôle de gardien de la probité électorale, en veillant à ce que les règles du jeu démocratique, notamment dans leur dimension financière, soient scrupuleusement respectées par tous.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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