Par une décision en date du 20 juin 2025, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur les conséquences du défaut de dépôt d’un compte de campagne par un candidat à une élection législative.
En l’espèce, un candidat ayant obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 n’a pas déposé son compte de campagne dans le délai légal expirant le dixième vendredi suivant le premier tour du scrutin. Conformément à l’article L. 52-15 du code électoral, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le Conseil constitutionnel. Devant le juge de l’élection, le candidat a fait valoir, pour sa défense, que le compte bancaire ouvert par son mandataire financier n’avait enregistré aucun mouvement, hormis les dépenses liées à la campagne officielle et les frais bancaires.
Il revenait ainsi au juge de l’élection de déterminer si l’absence de dépôt du compte de campagne dans le délai légal, en dépit de l’absence de mouvements financiers significatifs, constitue un « manquement d’une particulière gravité » au sens de l’article L.O. 136-1 du code électoral, justifiant le prononcé de l’inéligibilité.
Le Conseil constitutionnel répond par la négative à cette question, considérant que le manquement n’est pas suffisant pour entraîner l’inéligibilité. Il privilégie ainsi une analyse substantielle de l’obligation de dépôt (I), bien que cette approche pragmatique ne soit pas exempte de risques quant à la rigueur du contrôle des financements politiques (II).
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I. L’appréciation substantielle du manquement à l’obligation de dépôt
Le Conseil constitutionnel, tout en reconnaissant la défaillance formelle du candidat, choisit de ne pas y attacher la sanction la plus sévère en se fondant sur une analyse factuelle du dossier (A). Cette décision précise ainsi la portée de la sanction de l’inéligibilité, la réservant aux manquements qui portent une atteinte matérielle aux principes de transparence et de sincérité des comptes (B).
**A. La prévalence de l’analyse factuelle sur le manquement formel**
En application de l’article L. 52-12 du code électoral, tout candidat ayant recueilli au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu de déposer un compte de campagne. Le non-respect de cette obligation dans le délai imparti constitue un manquement incontestable, que le Conseil constitutionnel constate d’ailleurs dans son troisième considérant, relevant que le candidat « n’a pas déposé de compte de campagne alors qu’il y était tenu ». La lettre de la loi aurait pu conduire à une application stricte de la sanction prévue à l’article L.O. 136-1 du même code, lequel permet de déclarer inéligible un candidat dans une telle situation.
Toutefois, le juge constitutionnel ne s’arrête pas à ce simple constat. Il exerce son pouvoir d’appréciation en examinant les circonstances de l’espèce, comme le lui permet la rédaction de l’article L.O. 136-1 qui dispose qu’il « peut » déclarer l’inéligibilité. Pour ce faire, il prend en considération les éléments produits par le candidat, notamment « un relevé du compte de dépôt ouvert par le mandataire financier ». L’analyse de ce document révèle « que ce compte n’a connu aucun mouvement en dehors des dépenses de la campagne officielle et des frais d’ouverture et de gestion de ce compte ». En d’autres termes, le juge vérifie l’absence de toute activité financière susceptible de masquer des recettes ou des dépenses irrégulières. La démarche du Conseil constitutionnel établit ainsi une distinction nette entre l’obligation procédurale de dépôt et l’objectif de fond qui est d’assurer la transparence du financement électoral. Le manquement formel est avéré, mais son incidence matérielle est jugée nulle.
**B. Une portée pédagogique sur la hiérarchie des obligations**
En refusant de prononcer l’inéligibilité, le Conseil constitutionnel affine sa jurisprudence sur la notion de « manquement d’une particulière gravité ». Cette décision ne signifie pas que l’obligation de dépôt du compte de campagne devient accessoire. Elle indique plutôt que la sanction de l’inéligibilité, particulièrement sévère puisqu’elle prive un citoyen de son droit de se présenter aux élections, doit être réservée aux atteintes substantielles aux règles du financement politique. Le juge de l’élection rappelle implicitement que l’objectif des articles L. 52-4 et suivants du code électoral est d’empêcher les financements occultes et de garantir l’égalité entre les candidats.
La solution retenue a une portée pédagogique : elle souligne que le contrôle juridictionnel ne se borne pas à une vérification mécanique des obligations déclaratives. Il s’attache à rechercher si le comportement du candidat a, concrètement, porté atteinte à la sincérité du scrutin et à la transparence financière. Un défaut purement administratif, sans conséquence sur la régularité des flux financiers, n’entre pas dans la catégorie des manquements justifiant la sanction la plus lourde. Le Conseil constitutionnel hiérarchise ainsi les fautes : la négligence administrative est distinguée de la volonté de fraude ou de la dissimulation, ces dernières seules méritant une réponse d’une extrême rigueur.
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II. Une solution pragmatique aux effets potentiellement ambivalents
Cette décision, si elle se justifie par une application mesurée du droit (A), n’est pas sans soulever des interrogations quant au risque d’un affaiblissement de la discipline à laquelle les candidats sont tenus en matière de financement politique (B).
**A. Une application saluée du principe de proportionnalité**
La décision du Conseil constitutionnel témoigne d’une application raisonnée du principe de proportionnalité de la sanction à la gravité du manquement. L’inéligibilité constitue une restriction à une liberté fondamentale, le droit d’être éligible, qui découle du principe de participation des citoyens à la vie politique. Son prononcé ne saurait être automatique et doit résulter d’une analyse approfondie des faits de la cause. En l’espèce, sanctionner le candidat par une inéligibilité aurait été manifestement excessif au regard de l’absence totale d’enjeu financier. Le patrimoine du candidat n’a pas été engagé au-delà des dépenses officielles, et aucune somme n’a été perçue de tiers.
La solution est donc équitable, car elle adapte la réponse répressive à l’infraction réellement commise. Le juge ne se contente pas de sanctionner un oubli administratif ; il évalue si cet oubli a eu pour effet de contourner les règles substantielles du financement politique. En concluant que le manquement ne justifie pas l’inéligibilité, le Conseil constitutionnel renforce la légitimité de son contrôle. Il démontre qu’il n’est pas un censeur aveugle, mais un régulateur qui pèse les intérêts en présence : d’une part, la nécessité de faire respecter les obligations de transparence et, d’autre part, le respect des droits et libertés fondamentaux des candidats.
**B. Le risque d’un affaiblissement de la rigueur formelle du contrôle**
Cependant, cette approche pragmatique pourrait être interprétée comme un signal d’indulgence susceptible d’inciter à une certaine négligence. Des candidats pourraient être tentés de ne pas respecter scrupuleusement le délai de dépôt de leur compte, en pariant sur la possibilité de démontrer a posteriori l’absence de mouvements financiers significatifs pour échapper à toute sanction. La décision fait reposer la charge de la preuve de l’innocuité du manquement sur le candidat lui-même, ce qui fut possible en l’espèce grâce à la production d’un relevé bancaire probant. La solution aurait sans doute été différente si le candidat n’avait pu fournir une telle justification.
Cette jurisprudence pourrait ainsi complexifier la tâche de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui pourrait voir se multiplier les saisines pour des défauts de dépôt que les candidats tenteraient ensuite de régulariser devant le juge. En assouplissant la portée de l’obligation formelle de dépôt, le Conseil constitutionnel prend le risque d’affaiblir l’effet dissuasif de la loi. Si la solution est juste dans ce cas particulier, elle impose pour l’avenir au juge de l’élection une vigilance accrue pour distinguer la simple négligence administrative, sans conséquence, de manœuvres visant à se soustraire, même temporairement, au contrôle rigoureux du financement des campagnes électorales.