Par une décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de la loi visant à sécuriser l’espace numérique. Plusieurs députés ont saisi la haute juridiction pour contester la validité de nombreuses dispositions relatives à la régulation des plateformes en ligne. Le texte organise notamment un nouveau cadre pour la vérification de l’âge des utilisateurs et le blocage de contenus illicites. La question juridique porte sur la conciliation entre la liberté de communication et l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la jeunesse. Le juge valide l’essentiel des pouvoirs administratifs mais censure la création d’une nouvelle infraction pénale qu’il juge trop imprécise.
L’examen de cette loi permet de souligner le renforcement des pouvoirs de police administrative avant d’analyser la protection des libertés fondamentales face aux incertitudes normatives.
**I. La consécration d’une police administrative du numérique renforcée**
*A. L’encadrement des prérogatives techniques de régulation*
La loi confie à une autorité administrative le soin d’établir un référentiel technique pour la vérification de l’âge des internautes. Les requérants dénonçaient une incompétence négative du législateur et une atteinte grave au droit au respect de la vie privée. Le juge considère toutefois que « le législateur a pu, sans méconnaître sa compétence, confier à une autorité administrative le soin d’établir un référentiel » technique. L’autorité fixe uniquement des exigences techniques minimales pour garantir la fiabilité du contrôle de l’âge lors de l’accès aux sites. Cette habilitation ne méconnaît pas le pouvoir réglementaire général car elle ne concerne que des mesures de portée limitée. La décision confirme ainsi la légitimité d’un encadrement technique de l’espace numérique par une instance administrative spécialisée.
*B. La validité des mesures de blocage au nom de l’intérêt de l’enfant*
L’autorité de régulation peut désormais ordonner le blocage des services de communication permettant aux mineurs d’accéder à des contenus pornographiques. Cette mesure constitue une police administrative visant à prévenir les atteintes à l’ordre public et à protéger l’intérêt de l’enfant. Le juge estime que la durée maximale de deux ans prévue pour ces mesures n’est pas manifestement disproportionnée. L’existence d’une réévaluation annuelle obligatoire et d’un recours juridictionnel spécifique garantit la protection effective des droits des éditeurs. Le législateur a ainsi opéré une conciliation équilibrée entre la liberté d’expression et l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de la jeunesse. La célérité de la procédure juridictionnelle assure que l’atteinte à la liberté de communication demeure strictement contrôlée.
**II. La protection des libertés face aux incertitudes normatives**
*A. La censure du délit d’outrage en ligne pour défaut de nécessité*
Le législateur souhaitait créer une infraction d’outrage en ligne pour lutter contre les contenus portant atteinte à la dignité des personnes. Les sages observent que « la législation comprend déjà plusieurs infractions pénales permettant de réprimer des faits susceptibles de constituer de tels abus ». La nouvelle qualification faisait dépendre la caractérisation de l’infraction de « l’appréciation d’éléments subjectifs tenant à la perception de la victime ». Une telle imprécision fait peser une incertitude réelle sur la licéité des comportements des citoyens sur les réseaux sociaux. Le Conseil décide que cette atteinte à la liberté d’expression n’est ni nécessaire ni adaptée à l’objectif poursuivi. La suppression de cet article protège la clarté de la loi pénale et garantit la liberté du débat démocratique.
*B. La sanction de la procédure législative et des cavaliers*
Le juge constitutionnel a également censuré plusieurs articles introduits par voie d’amendement sans lien avec le projet de loi initial. Des dispositions relatives à l’identité numérique ou au secret statistique ont été déclarées contraires à la Constitution pour motif procédural. Cette pratique du contrôle des cavaliers législatifs rappelle au Parlement l’obligation de respecter la cohérence et la sincérité des débats. La décision émet par ailleurs une réserve d’interprétation concernant la non-rétroactivité des sanctions pécuniaires prévues par la loi nouvelle. Les mesures punitives ne sauraient s’appliquer à des faits commis avant l’entrée en vigueur effective des dispositions législatives. Ce contrôle rigoureux assure que la régulation du numérique s’inscrit dans le respect strict de la hiérarchie des normes.