Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024

La décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024 examine la conformité d’une loi organique prolongeant les mandats des élus au sein d’une collectivité d’outre-mer. Le pouvoir législatif a justifié ce report par l’impossibilité d’organiser un scrutin sincère et paisible dans un territoire actuellement frappé par des troubles publics graves. La juridiction fut saisie par le chef du gouvernement après l’adoption définitive du texte par les assemblées nationales, conformément aux exigences de l’article 61 de la Constitution. La question posée consistait à déterminer si l’exigence de mandats quinquennaux fixée par un accord institutionnel historique interdisait tout décalage temporel des échéances électorales locales. Les juges ont estimé que la sauvegarde de l’ordre public et la reprise du dialogue politique autorisaient cette modification législative à caractère strictement temporaire. L’analyse de cette décision permet d’étudier l’admission d’une dérogation exceptionnelle au cadre statutaire avant d’observer la validation d’une prorogation proportionnée aux nécessités de crise.

I. L’admission d’une dérogation exceptionnelle au cadre institutionnel territorial A. L’encadrement de la compétence législative sur le statut électoral L’article 77 de la Constitution délègue au législateur organique le soin de fixer les règles relatives au régime électoral spécifique de la collectivité insulaire concernée. La juridiction rappelle que son contrôle s’exerce tant au regard du texte constitutionnel qu’au regard des orientations fondamentales définies par l’accord signé à Nouméa. Ce document conventionnel stipule explicitement que « le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province sera de cinq ans » selon les engagements initiaux. Cependant, de telles dérogations restent valides dès lors qu’elles interviennent dans la « stricte mesure nécessaire à la mise en œuvre de l’accord » et de ses objectifs. Cette souplesse interprétative permet d’adapter le fonctionnement des institutions aux réalités politiques mouvantes tout en respectant l’esprit général des accords de paix.

B. La reconnaissance d’un but d’intérêt général supérieur La décision souligne que le législateur a identifié une situation de crise exceptionnelle empêchant le déroulement normal des opérations de vote sur l’ensemble du territoire. Le report des élections vise à permettre la « reprise du dialogue entre les partenaires politiques » afin de définir sereinement l’avenir institutionnel de cette collectivité. La poursuite de cet objectif de paix civile constitue un motif d’intérêt général suffisant pour justifier une prorogation ponctuelle des mandats des représentants locaux. Par ailleurs, les juges considèrent que la mesure adoptée n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux risques pesant sur la sécurité et la sincérité du scrutin. Le maintien d’un cadre démocratique fonctionnel exige parfois de différer l’expression du suffrage pour garantir que chaque citoyen puisse exercer son droit de vote librement.

II. La validation d’une prorogation proportionnée aux nécessités de l’ordre public A. La nature transitoire de l’allongement de la durée des mandats Le texte soumis au contrôle reporte les élections au plus tard le 30 novembre 2025, ce qui porte la durée totale du report à dix-huit mois maximum. La juridiction précise que cette prorogation des mandats en cours revêt un caractère « exceptionnel et transitoire » conforme aux exigences de continuité de la vie démocratique représentative. Cette limitation temporelle garantit que l’atteinte à la périodicité normale du suffrage ne devient pas excessive malgré la gravité des circonstances politiques ayant motivé la loi. Le dispositif législatif assure ainsi une stabilité des institutions locales tout en offrant un délai technique raisonnable pour l’organisation matérielle des futures consultations électorales. L’allongement de la durée des fonctions électives demeure ainsi une mesure de circonstance encadrée par le respect des principes fondamentaux de la souveraineté nationale.

B. La retenue du juge constitutionnel face aux choix politiques du législateur La juridiction rappelle qu’elle ne dispose pas d’un « pouvoir général d’appréciation » identique à celui du Parlement pour juger de l’opportunité des réformes de structure. Il lui appartient uniquement de vérifier que les modalités choisies par le législateur ne sont pas « manifestement inappropriées » aux buts légitimes de protection de la sécurité publique. L’article premier de la loi organique est déclaré conforme car il répond de manière adaptée aux difficultés concrètes rencontrées par les services de l’administration. Enfin, cette solution consacre la primauté de la paix civile sur une application strictement littérale des textes régissant la durée habituelle des différents mandats politiques locaux. La décision n° 2024-872 DC confirme ainsi la capacité du droit constitutionnel à intégrer des mesures d’urgence pour préserver l’essentiel de l’ordre républicain.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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