Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1130/1131/1132/1133 QPC du 11 avril 2025

Le 11 avril 2025, le Conseil constitutionnel a statué sur la conformité de l’article 30-3 du code civil concernant la perte de la nationalité française par désuétude. Quatre requérants, nés et résidant habituellement à l’étranger, contestaient la perte de leur lien de filiation avec la France en raison d’un éloignement prolongé. La Cour de cassation a transmis ces interrogations le 8 janvier 2025 afin d’apprécier la constitutionnalité de cette présomption cinquantenaire d’extinction du droit de cité. Les demandeurs soutenaient que l’absence d’examen judiciaire concret de leur situation personnelle méconnaissait un principe fondamental reconnu par les lois de la République. La question posée portait sur la validité d’une règle interdisant la preuve de la nationalité après un demi-siècle d’absence de résidence et de possession d’état. Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition conforme à la Constitution en écartant le principe invoqué et en jugeant l’atteinte aux droits proportionnée. Cette décision invite à examiner l’écartement d’une protection constitutionnelle spécifique de l’intervention judiciaire avant d’analyser la validation de la désuétude comme instrument de régulation.

**I. L’écartement d’une protection constitutionnelle spécifique de l’intervention judiciaire**

**A. Le refus de consacrer un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République**

Les requérants invoquaient une tradition républicaine imposant l’intervention systématique d’un juge pour constater la perte de la qualité de Français par l’effet du temps. Ils s’appuyaient notamment sur la loi du 10 août 1927 et sur l’ordonnance du 19 octobre 1945 pour soutenir l’existence d’une telle règle. Le Conseil constitutionnel rejette cette argumentation en soulignant que les textes cités ne faisaient que déterminer une modalité technique de constatation de la perte. Les dispositions antérieures n’avaient « ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe » selon lequel seul un jugement pourrait valider cette désuétude. L’intervention du juge judiciaire ne revêt donc pas, dans ce domaine précis, le caractère d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette décision confirme que le législateur dispose d’une marge de manœuvre pour définir les modes de preuve et de perte de la nationalité.

**B. La confirmation d’un mécanisme de preuve encadré par la jurisprudence**

L’article 30-3 prévoit qu’un individu ne sera pas admis à faire la preuve de sa nationalité si les conditions de la désuétude sont réunies. Le Conseil constitutionnel rappelle que cette disposition institue une présomption irréfragable de perte de la nationalité par l’écoulement d’un délai de cinquante ans. Cette règle s’applique « lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle ». Le juge doit alors constater la perte de la nationalité française dès lors qu’aucune possession d’état n’a été démontrée dans ce délai. Cette interprétation, fixée par la Cour de cassation, interdit de rapporter la preuve de la transmission par filiation après l’expiration du temps requis. L’automaticité du dispositif ne heurte pas la Constitution car elle repose sur une absence de liens matériels et affectifs avec la Nation française.

**II. La validation de la désuétude comme instrument de régulation de la nationalité**

**A. Un objectif d’intérêt général fondé sur l’effectivité du lien national**

Le législateur entend limiter la transmission perpétuelle de la nationalité pour les personnes établies à l’étranger n’ayant conservé aucun lien effectif avec la France. Le Conseil constitutionnel affirme que mettre fin à cette transmission lorsque la nationalité est dépourvue d’effectivité poursuit un but d’intérêt général manifeste. La présomption de désuétude permet ainsi de garantir que le droit de cité correspond à une réalité sociale et personnelle vécue par l’individu. L’interdiction de se prévaloir d’éléments de possession d’état postérieurs au délai cinquantenaire participe également à l’objectif de bonne administration de la justice. La sécurité juridique exige que la nationalité ne puisse pas être revendiquée indéfiniment après une rupture totale de contact avec les institutions françaises. La loi assure ainsi la cohérence du corps électoral et de la communauté nationale en évitant des revendications purement formelles.

**B. Le maintien des garanties constitutionnelles par des mesures d’atténuation**

La sévérité de la présomption cinquantenaire est tempérée par plusieurs garanties fondamentales qui évitent une atteinte disproportionnée aux droits des personnes intéressées. Le juge doit impérativement vérifier que la décision ne résultera pas en une situation d’apatridie pour l’individu dont la nationalité est contestée. Les dispositions de l’article 30-3 ne peuvent être opposées à des enfants mineurs si elles ne l’ont pas été préalablement à leur ascendant direct. Enfin, la personne frappée par la désuétude conserve la possibilité de « réclamer la nationalité française par déclaration » en prouvant des liens culturels ou familiaux. Ces soupapes juridiques permettent de concilier l’exigence d’effectivité de la nationalité avec le respect de la vie privée et du droit au recours. Le Conseil constitutionnel conclut alors que le dispositif législatif respecte l’équilibre nécessaire entre la souveraineté de l’État et les libertés individuelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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