Par une décision n° 2025-1134 QPC du 29 avril 2025, la juridiction constitutionnelle a censuré le premier alinéa de l’article 719 du code de procédure pénale. Cette disposition législative énumère limitativement les lieux de privation de liberté que certaines autorités, comme les parlementaires ou les bâtonniers, sont autorisées à visiter sans préavis. La question a été soulevée par un ordre professionnel d’avocats contestant l’absence, dans cette énumération, des geôles et des dépôts situés au sein des tribunaux judiciaires. Les requérants soutenaient que cette omission méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et portait atteinte à l’exigence de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. La plus haute juridiction administrative a rendu, le 29 janvier 2025, la décision n° 498798 estimant que la question méritait d’être transmise pour un examen de constitutionnalité. Le problème juridique réside dans la conformité de l’exclusion des lieux de rétention judiciaire du droit de visite parlementaire au regard des principes d’égalité et de dignité. Le juge décide que cette différence de traitement est sans rapport avec l’objet de la loi et déclare le texte contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. L’analyse de cette décision commande d’étudier la sanction d’une rupture d’égalité injustifiée avant d’envisager la portée de la modulation temporelle des effets de la censure.
I. La consécration d’une rupture injustifiée de l’égalité devant la loi A. L’identification d’une omission législative au regard de l’objectif de contrôle La décision rappelle d’abord que le législateur a entendu instaurer « un droit de visite des lieux où une personne est privée de liberté » pendant une procédure. Cette prérogative vise à assurer un contrôle extérieur effectif sur les conditions de séjour des citoyens se trouvant sous la main de la justice pénale. Or, les geôles et les dépôts des tribunaux constituent des espaces de rétention temporaire dont la nature ne diffère pas des autres locaux administratifs ou pénitentiaires. L’exclusion de ces espaces crée une zone d’ombre dans le dispositif de surveillance alors que des individus y attendent leur présentation devant un magistrat ou un juge. Cette incohérence entre le but protecteur recherché par le texte et son champ d’application matériel constitue le premier fondement du raisonnement suivi par le juge constitutionnel.
B. La sanction de la différence de traitement entre les lieux de privation de liberté Ce constat de carence matérielle permet au juge de déduire une violation caractérisée du principe d’égalité entre les citoyens placés sous la main de la justice. Selon la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » de manière égale et uniforme. Le principe d’égalité n’interdit pas de régler différemment des situations distinctes à condition que la distinction soit en rapport direct avec l’objet du texte législatif. Dans cette espèce, le juge note que les dispositions « ne prévoient pas l’exercice de ce droit de visite dans les lieux de privation de liberté situés au sein des juridictions judiciaires ». Cette différence de traitement entre les personnes en garde à vue et celles maintenues dans les tribunaux est jugée dépourvue de toute justification objective et rationnelle. En conséquence, le premier alinéa de l’article 719 méconnaît le bloc de constitutionnalité en raison de ce caractère discriminatoire qui n’est pas justifié par l’intérêt général.
II. La portée d’une déclaration d’inconstitutionnalité encadrée dans le temps A. Le renforcement indirect des garanties liées à la dignité de la personne humaine Cette constatation d’inconstitutionnalité emporte des conséquences majeures tant sur la protection des droits fondamentaux que sur l’organisation matérielle du droit de visite des autorités. Bien que la décision se fonde sur l’égalité, elle renforce indirectement la protection de la dignité humaine au sein de l’ensemble des lieux de détention provisoire. La censure souligne l’importance d’un regard indépendant et régulier sur les conditions matérielles de privation de liberté, quel que soit l’endroit où elle s’exerce réellement. En intégrant potentiellement les dépôts judiciaires au droit de visite, la juridiction garantit une meilleure information du public sur la réalité quotidienne des enceintes des tribunaux. Cette solution s’inscrit dans une tendance visant à réduire les espaces clos soustraits à la vigilance des autorités élues ou des représentants des ordres d’avocats. Le bâtonnier pourra ainsi exercer son ministère de surveillance dans son ressort, assurant une protection accrue des droits fondamentaux et des libertés individuelles de chaque justiciable.
B. La modulation temporelle des effets de la décision par le juge constitutionnel Cependant, la protection effective des droits ne saurait occulter la nécessité pour le juge de préserver la sécurité juridique par un aménagement des effets de sa décision. La Constitution permet au juge de « fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets » pour préserver l’ordre juridique et social. La juridiction souligne qu’une abrogation immédiate supprimerait tout droit de visite existant, ce qui entraînerait « des conséquences manifestement excessives » pour la protection des libertés publiques. Pour maintenir les droits acquis tout en imposant une réforme législative nécessaire, le juge décide de reporter la disparition de la norme au 30 avril 2026. Ce délai laisse au Parlement le temps d’adopter une rédaction conforme incluant explicitement les geôles et les dépôts des tribunaux judiciaires dans le code. Enfin, les mesures prises avant cette échéance ne peuvent être contestées sur ce fondement, garantissant ainsi la stabilité des procédures pénales déjà engagées par le Gouvernement.